Édité il y a plus de 20 ans par Vertigo (le label « auteur » de DC Comics, ayant publié des séries aussi prestigieuses que Watchmen, 100 Bullets ou Transmetropolitan), Enigma arrive enfin en français, avec cette réputation de classique méconnu…
Michael a une vie bien rangée, ennuyeuse et réglée comme du papier à musique. Il couche une fois par semaine avec sa compagne, sans passion, il fait un travail inintéressant, il n’a pas de passe-temps particulier. Il personnifie l’ennui. Un soir, il voit aux infos télévisées qu’un meurtre terrible vient d’avoir lieu, à quelques pâtés de maisons de chez lui ; l’assassin aurait aspiré le cerveau de sa victime… Embarqué dans une spirale frénétique, il se rend sur place, et toute sa vie bascule.
Peter Milligan n’est certes pas un inconnu, mais il n’a jamais réellement signé de succès phénomène qui l’ait imposé (comme Morrison, Ennis ou Ellis l’ont connu, eux). Ayant signé des travaux de commande indifféremment pour DC et Marvel (de Wolverine à Batman, en passant par Miracleman ou Green Lantern), il a aussi participé à des projets plus personnels : Hellblazer, Human Target, et donc ce fameux Enigma, œuvre de jeunesse. D’une narration complexe et racée, elle embarque son lecteur dans la psychée tortueuse de ses personnages : Enigma, ce vengeur hésitant, qui vient quand on ne l’attend plus et agit avec la brutalité d’un vigilant. La Vérité, qui rend fou et finit par tuer les gens en leur retirant le vernis de mensonge qui leur permet de survivre en société. La Tête, qui prend son pied en aspirant un concentré de la vie de ses victimes… Les métaphores sont légion, dans cette histoire aussi brillante que noire, et poussent le lecteur à penser à ses propres choix de vie : sommes-nous tous des Michael, subissant nos existences fondées sur les piliers branlants posés par nos parents ? Ou avons-nous la possibilité, à un moment donné, d’influer sur le cours de notre vie ?
Sur cette histoire vaporeuse et étrange, gorgée néanmoins d’un humour salvateur, Duncan Fegredo envoie des planches balancées avec une forme de magistrale frénésie. Lui qui a signé des pages ahurissantes de maîtrise sur Hellboy lâche ici la bride, et va vers le rapide, le punchy, l’efficace. L’épure dans la mise en page alterne avec des plans fouillés, chaotiques, aidé en cela par les couleurs de Sherilyn Van Valkenburgh. Comme souvent avec les productions Vertigo, l’accent est porté sur le scénariste, et le dessin de Fegredo a suffisamment vieilli pour rebuter quelques lecteurs. Comme toujours avec les productions Vertigo, une fois les premières pages passées, on n’imagine plus un autre dessinateur apposer sa signature en fin de chapitre. D’autant que les couvertures sont bien de lui, et sont, chacune, de véritables pièces de maître.
Enigma est une réussite incontournable, étrange, poétique, macabre, éclairant les failles de l’esprit humain avec le regard sarcastique de celui qui sait, mais ne dit rien, et laisse son lecteur se faire sa propre idée. Et une fois encore, Urban signe un travail éditorial impeccable, avec un papier mat de belle facture (et parfaitement en adéquation avec le style et l’époque du contenu) et une traduction de haute volée signée Patrick Marcel (traducteur attitré de Terry Pratchett et Neil Gaiman, excusez du peu).
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