Il est, dans la culture BD dite « classique », quelques séries dont l’âge et la durée de publication forcent le respect. En effet, aux côtés de Spirou, des Pieds Nickelés et quelques autres, voici un pilier définitif qui reprend un peu de vigueur… Car Choc, ce sont bien les origines du grand méchant de Tif et Tondu, série créée en 1938 par Fernand Dineur, mais popularisée dans les grandes largeurs par Will et Rosy…
Première (petite) surprise, si nous parlons bien de Choc, ce personnage énigmatique et tortueux, qui semble voué à trouver sur son chemin le duo d’inspecteurs replets et capillairement complémentaires, il n’est jamais fait mention de Tif et Tondu, justement. Nous sommes ici pour découvrir la jeunesse et la vie sombre d’un futur génie du mal. Seconde jolie surprise, le talent est héréditaire : Éric Maltaite, le dessinateur de cet album, et ayant déjà aidé sur le tome 34 de T&T, est le fils du grand Will, le fameux, l’unique, et le voir revenir sur les traces de son père sans en être l’héritier servile fait plaisir à voir. Enfin, troisième éclat : la série a beau être grand public, nous sommes ici face à de la BD plus sombre, plus mature, dont les enjeux sont forts, et mettent en danger chaque protagoniste (certains ne s’en relèveront pas).
Stéphane Colman, ici scénariste (mais ailleurs dessinateur, notamment sur Billy the Cat), manie à merveille une narration et un humour proche du film noir français des années 50 : entre bons mots, gueules cassées et séquences pétaradantes, il nous offre un panel d’actions et d’aventures riche en suspense. Mais sa plus grande réussite, ce sont les jeunes années de Choc : fils d’une servante, il semble voué à mener une vie souterraine, écrasé par les puissants, ceux qui ont eu la chance de bien naître. Rapidement, et face aux injustices dont il est victime ou témoin, il décide de prendre sa destinée en main, et avance avec force et conviction vers la richesse et ce qu’ils soupçonne l’accompagner : la reconnaissance. Un portrait plus profond qu’espéré, qui détonne fortement dans un journal comme Spirou.
Éric Maltaite, de son côté, amène un dessin à la fois racé, expressif et néanmoins suffisamment épuré pour rester dans la lignée du franco-belge grand public. Bien différent de l’esthétique de son paternel, il impose un style qui fonctionne à merveille avec la tonalité plus adulte du récit, et ne se gène pas pour montrer, de ci de là, une gerbe de sang ou un personnage mourant. Mais de la même manière que son compère, il excelle aussi à recréer cette drôle d’ambiance des chambres de bonnes du début XXème, esclavage des temps modernes, qui accueille le jeune héros et sa mère. Et si la rupture entre l’enfant, attachant, et le Choc adulte, cynique et glacial, est marquée par l’omniprésent et mythique heaume, on ne peut s’empêcher de trouver de nombreuses justifications aux choix de vie radicaux de celui qui deviendra un vrai vilain de BD.
Choc se pose donc comme LA série surprise de ce début d’année, du moins en ce qui concerne les reboots, suites, dérivés et autres. Conçu visiblement avec respect et amour, mais sans tomber dans la redite stérile, cet album de luxe (près de 90 pages, dos rond, grand format) mérite tous les égards, et les auteurs ont désormais leur mètre-étalon. Vivement la suite !
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