DC s’est lancé, en 2012, la tâche impossible de faire une série de préquelles à l’un des ouvrages majeurs des années 1980. Autant dire que c’était un projet voué à l’échec, du moins vis à vis des fans hardcore du roman graphique le plus salué de tous les temps (Maus mis à part), avec son prix Hugo, son prix du meilleur album étranger à Angoulême, sa sélection parmi les 100 plus grands romans modernes (texte et graphique confondus) du Times Magazine… N’en jetez plus.
Il était évidemment impossible de se mettre au niveau, d’autant que Alan Moore et Dave Gibbons se sont rapidement désolidarisés du projet (Moore étant un coutumier du fait).
Ceci étant dit, en essayant de dépassionner le sujet, il faut admettre que l’éditeur a mis les petits plats dans les grands : il a ainsi donné carte blanche à un panel d’auteurs proprement ébouriffant, qui ont pris comme terrain de jeu l’avant Watchmen, allant des Minutemen aux aventures parallèles des personnages principaux. Je vais ici chroniquer les trois premiers tomes (les seuls parus en français à ce jour, les suivants paraîtront de façon mensuelle).
Tome 1, Minutemen (Darwyn Cooke)
Ce premier volume, on le doit au très noir, et très efficace Darwyn Cooke (Parker, Nouvelle Frontière). Il va traiter avec soin de la fameuse équipe « brouillon » de Watchmen, ce premier jet à moitié loupé, mais qui posera les bases de l’équipe définitive. Cette chronique nous étant contée par le premier Hibou, alors qu’il travaille sur son autobiographie, ouvrage qui devrait démonter le « mythe » de cette équipe pas vraiment exemplaire… L’ambiance est poisseuse, mais le graphisme old-school de l’auteur lisse un peu le tout, et nous permet d’apprécier les moments de détente autant que les passages plus sombres. Un premier tome réussi, mais pas réellement traumatisant.
Ce deuxième tome est plus chaotique, en ceci qu’il est signé par plusieurs duos d’auteurs. Le plus marquant sera sans conteste Brian Michael Bendis (Daredevil, Hellspawn, Torso…) et Eduardo Risso (100 Bullets, Je suis un vampire), qui s’attaquent au destin tragique de Moloch, le seul Vilain réellement remarquable de l’œuvre originale. Les autres chapitres s’attaquent à la sympathique et vaine histoire de Bill Dollar, le héros capé monté de toute pièce par une banque. La dernière partie du livre retrace l’étrange histoire de Gordon McLachlan, le pirate dépressif dont les aventures passionnent un jeune lecteur dans la série de Moore.
Tome 3, Rorschach (Azzarello & Bermejo)
Pour l’instant, le meilleur tome de la série. Il était cependant interdit à DC de se louper sur ce personnage, probablement le plus attachant et le plus intéressant de la série originelle. Avoir mis à l’œuvre les deux monstres que sont Brian Azzarello (100 Bullets, Joker) et Lee Bermejo (Joker, Batman : Noël) sur le personnage le plus charismatique du panel, voilà qui se devait de rassurer les fans inquiets. Après lecture, il convient de dire qu’ils ont rempli avec brio, punch et un cynisme réjouissant leur contrat. Voici un polar noir à crever, qui met en scène un Rorschach évidemment à deux doigts de la rupture, et toujours prêt à enfoncer quelques portes ou à casser un bras pour arriver à ses fins. Notons évidemment la classe monstrueuse du dessin de Bermejo, qui ajoute les aspérités et la crasse nécessaire à son personnage et son environnement…
Jusqu’ici donc, pas de réel loupé, et même quelques bonnes surprises. Impossible de comparer ces œuvres à l’originale, mais avec le recul nécessaire, on se prend à apprécier de redécouvrir l’univers malsain et décrépit conçu par Moore et Gibbons, même si l’ambiance est rarement la même. Ne pas jeter cette série intéressante avant d’avoir testé, donc ! Qu’on se le dise !
Si vous avez aimé, évidemment, lisez Watchmen… De préférence, un chapitre par jour, histoire de digérer la masse. LE roman graphique, qui traverse les ans sans prendre une ride.
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