Frederik Peeters
Gallimard
« La Nature n’aime pas l’homme. Je le sais bien c’est une des choses qu’enseignent les livres. Des siècles d’opposition et de combat pour la survie. Mais je suis né à Radiant. Et je me suis donc construit malgré moi une image quasi mythologique du monde vivant, faite de beauté apaisante, de communion et de pureté régénératrice. Comme tous les humains, je porte enfoui au fond de mon cerveau reptilien la vague nostalgie d’un monde naturel que je n’ai jamais connu. Le contraire de la cruelle et douloureuse réalité. Les livres ont raison. »
Dans un futur indéterminé ou l’homme est bardé de discrets inserts technologiques Verloc Nim apparait comme un cas à part. Il refuse toutes ces intrusions dans son corps-filtres, implants- et se passionne pour les livres, reliques du temps passé et gardiens de la mémoire. Mémoire qui pour l’instant lui fait défaut. C’est au sommet d’un tertre au milieu de nulle part, qu’il se réveille amnésique après, semble-t’il, une grande explosion. Une image surgit soudainement dans son esprit : Lilja sa fille, qu’il n’a pas vu depuis un long moment. Une enfant venue au monde de façon « complètement naturelle, sans fécondation assistée, ni pré-implants, ni mise à niveau génétique… sans planification ». Lijla présente très vite des aptitudes hors-normes et un comportement atypique qui va poser problème dans son insertion sociale et fissurer son couple.
Verloc est rejoint, en haut de son monticule, par Churchill, « robot hors-catégorie, fabriqué sur mesure » à l’apparence simiesque et pièce maitresse de l’intrigue à venir. Pour l’heure il remet à Verloc son carnet de notes dans lequel ce dernier a consigné les évènements récents qui vont peu à peu lui permettre de retrouver sa mémoire. David Lynch n’aurait pas renié un tel scénario qui avance à rebours et soulève peu à peu tous les mystères. On apprend ainsi que Verloc est sur la planète Ona(ji), qu’il est venu avec son frère, le très sur de lui Conrad qui travaille pour la Muy-Tang Corporation. Cette puissante compagnie de biorobotique a envoyé des scientifiques sur Ona(ji) il y a 5 ans de cela afin de « tester un produit technologique révolutionnaire. Une sorte de soupe de pico-robots fonctionnant en réseau, et capable de s’autoreproduire, de manipuler et transformer la matière à un niveau subatomique. » Mais il y a eu la Grande Crise et la Muy-Tang a un peu oublié ses ouailles ! Conrad a pour mission de rétablir le contact et de ramener ce fameux produit…
Bien évidemment tout ne se passera pas comme prévu, les certitudes des uns voleront en éclats et les doutes des autres les amèneront sur des voies inexplorées. Quand l’homme joue au démiurge…On retrouve dans ce récit les interrogations de Peeters sur la nature humaine : la filiation, la transmission, la compréhension de ce que nous sommes vraiment. La cellule familiale (Verloc, Silice et Lilja) et les liens fraternels sont évoqués avec finesse et précision, autant par les mots que par les gestes. Peeters excelle à faire passer les émotions par les attitudes, les regards, et de petits détails qui font sens une fois mis en lumière. Enfin l’environnement graphique est tout simplement stupéfiant, voire déroutant tant la frontière entre l’organique et le technologique est quasi-inexistante. L’auteur invente des formes habitées d’une certaine étrangeté. Une histoire en profondeur, qui creuse et questionne tout en ménageant du suspense et des coups de théâtre dévastateurs. Aâma est encore meilleur dans sa deuxième lecture, c’est dire…
Immanquable !
3 tomes disponibles :
- L’odeur de la poussière chaude, 2011
- La multitude invisible, 2012
- Le désert des miroirs, 2013
Du même auteur :
Pierre Wazem
Frederik Peeters
Les Humanoïdes associés
Dans le même univers :
Les derniers jours d’un immortel
Fabien Vehlmann
Gwen de Bonneval
Futuropolis
Laisser un commentaire