Walt Longmire, l’amant littéraire de ma mère
A chaque nouvelle parution, et ce depuis 15 ans, ma maman disparaissait complètement dans son bouquin. Elle nous abandonnait, mon père et moi, d’un joyeux « j’ai rendez-vous dans le Wyoming avec mon Shérif » On pouvait l’entendre glousser, grogner, s’enthousiasmer et quand elle daignait rejoindre notre réalité, c’était pour nous conter de long en large les paysages fabuleux des Grandes Plaines, le vertige montagnard de l’Ouest Américain et les crimes terribles qui s’y déroulaient.
Ces aventures semblaient si passionnantes que je me y suis intéressé de plus près, non pas que je veuille entretenir la même romance que Dame ma Mère, non, ça aurait été malsain, mais je voulais connaitre cet émerveillement !
En matière de Polar je dévorais tout mais mes préférences allaient pour du Michael Connelly, Henning Mankell, Fred Vargas ou Peter May. Des Éditions Gallmeister, je ne connaissais encore rien. Mon premier rendez-vous avec le Shérif Walt Longmire fut Molosse et à partir de là, j’ai compris pourquoi ma mère s’évade dans ces polars génialissimes !
Molosse
C’est l’histoire d’un pouce. Un pouce qu’on retrouve dans une décharge. Un pouce qu’il va falloir rattacher à son propriétaire, mort au vif. La décharge « Site municipal de dépôt, tri et récupération des déchets » est gardée par deux molosses, Butch et Sundance, deux psychopathes canins, et est la propriété des Stewart, famille pour le moins excentrique… C’est l’hiver dans l’état le moins peuplé des Etats-Unis et cet hiver, Craig Johnson nous en fait ressentir toute sa froideur, sa solitude et son éternité. Molosse est un polar digne de ce nom, à l’enquête merveilleusement bien ficelée et à l’humour débridé. On y rencontre tous les personnages familiers de l’univers Longmire et on s’y attache définitivement. Que ce soit Cady, la fille du Shérif, son adjoint basque, Vic son amoureuse ou encore Henry Standing Bear dit la Nation Cheyenne, vous voilà entouré de nouveaux amis pour la vie !
Little Bird
J’ai poursuivi ma route américaine avec Little Bird, première enquête de Walt Longmire. Le shérif Walt espérait pouvoir finir son mandat en paix mais c’était sans compter sur la découverte d’un corps, près de la réserve des Cheyennes du Nord, celui de Cody Pritchard: jeune Blanc condamné avec sursis deux ans auparavant pour le viol d’une jeune Indienne et dont la clémence du verdict avait attisé les tensions entre les communautés. A-t-on voulu faire soi-même justice? Inévitablement, la suspicion de Walt Longmire se tourne vers la communauté indienne, et en particulier son meilleur ami, Henry Standing Bear, l’oncle de la victime.
Le duo Henry-Walt est une des clefs de la réussite des Polars de Craig Johnson. Ici on ressent déjà toute la complicité qui unit ce vieux couple bien que les soupçons viennent assombrir leur relation. Un polar aux allures de Grand Roman Américain qui vous plonge dans les paysages hallucinants de l’Ouest. Parce que c’est là la spécificité des publications Gallmesiter, le Natural Writing : les lieux sont autant importants que les personnages et l’histoire. Soyez assuré que Craig Johnson est un Maître du genre ! Dans Little Bird, on EST dans le Wyoming : ses grands espaces vous envahissent, on les respire, on les admire et on s’y perd avec délice ! Au travers d’une enquête minutieuse aux nombreux suspects, on traverse la culture amérindienne, ses légendes et l’historique bataille de Littlebig Horn. Un régal !
A partir de cette première enquête du Shérif, j’ai tout dévoré et je guette chaque nouvelle parution avec une impatience enfantine, me réjouissant tout autant de retrouver mes amis littéraires que de m’imerger à nouveaux dans ces cartes postales vertigineuses à la beauté sauvage !
Une évidence trompeuse
Cette année, Gallmeister et Craig Johnson nous organisent un nouveau rendez-vous en terre Longmire. Une évidence trompeuse vous transporte chez les Bikers: les vrais motards à franges, tatouages et bedaines pleine de bières. Si le cheval est le transport le plus approprié pour longer les Devil Towers, eux chevauchent des bécanes de fer, bruyantes et rutilantes ! C’est que chaque année, la région voit se dérouler une grande course de motos et tout autre véhicule démesuré dont les Américains ont le secret. Mais que diable Walt Longmire le mélancolique peut bien aller faire dans une concentration aussi fumante que bruyante ? Il accompagne son ami de toujours, La Nation Cheyenne qui lui est un pilote chevronné ! Sa Thunderbird KTM bleu ciel, surnommée Lola ne peut que vous en convaincre ! Lola ? Oui, Lola, comme la petite fille de Walt. Et comme Lola, la patronne de ces Bikers, véritable matrone à qui on ne la fait pas ! D’une simple course virile à souhait on entre dans une enquête policière passionnante puisque le fils du Lola est retrouvé entre la vie et la mort… Un accident, un règlement de comptes, une affaire de pouvoir ? C’est ce que vont tenter de découvrir nos héros, le tout saupoudrer de trafic d’armes, de veille histoire d’amour, d’enquête fédérale et de guerre de Gangs ! Une aventure encore une fois réussie où l’on est bluffé par Vic et son incroyable concours de Ball-Trap, par l’amour naissant de Walt pour un véhicule blindé digne d’un Mad Max et où l’on retient son souffle dans cette course de côte hallucinante !
Le personnage de Walt Longmire est une bouffée d’air frais dans le milieu du polar, loin des clichés des flics désabusés, alcooliques, anti-héro et dépressifs (pourtant comme je les aime ces personnages sombres) Non Walt est un vieux sage, un peu mélancolique, ironique, terriblement humain et parfois maladroit avec la vie. Son humour, sa patience, son autodérision et sa nonchalance sont des valeurs qui vous enveloppent immédiatement.
L’univers de Craig Johnson est fantastique et je ne laisse personne dire le contraire. Si ses protagonistes sont aussi complexes qu’attachants, c’est que l’écrivain à beaucoup baroudé dans sa vie et qu’il use de son expérience pour épaissir ses personnages. Il grandit dans une petite ville du Midwest dont l’attraction principale est une voie ferrée qui la traverse de part en part. À l’âge de huit ans, il profite du fait que le train ralentit à chaque passage pour y embarquer clandestinement et partir à l’aventure. Cette première escapade dans le vaste monde s’achève lorsque son père, après avoir parcouru près de six cents kilomètres, vient le récupérer dans une gare de triage où le garnement a été repéré. Le gout du voyage est né et après ses études, c’est cette fois en auto-stop, chargé d’un sac de surplus de l’armée et d’un pistolet semi-automatique Colt que Craig se rend dans l’Ouest. Petit-fils de forgeron, il n’a pas de mal à se faire embaucher dans plusieurs ranchs du Montana et du Wyoming. Il fait même quelques incursions dans l’univers du rodéo : il ne se débrouille pas trop mal aux épreuves de dressage, mais son lancer de lasso est assez minable. Par la suite, il obtient un doctorat d’études dramatiques et se balade toujours à travers les États-Unis. Il devient successivement pêcheur professionnel, chauffeur routier, charpentier et cow-boy.Il ramasse même les fraises avant d’enseigner à l’université et de faire partie de la police de New York quelques temps. Il se consacre aujourd’hui pleinement à l’écriture dans son ranch situé à la confluence des rivières Clear Creek et Piney Creek, à la sortie de Ucross, une charmante petite ville qui compte vingt-cinq habitants, au pied des Bighorn Mountains, dans le Wyoming.
©gallmeister pour la photo de couverture
Laisser un commentaire