Dans une Amérique au bord du chaos politique et climatique, un père embarque son jeune fils souffrant de troubles du comportement dans une sidérante expérience neuroscientifique. Richard Powers signe un nouveau grand roman questionnant notre place dans le monde et nous amenant à reconsidérer nos liens avec le vivant.
Avez-vous déjà lu L’arbre Monde de Richard Powers ? Vous devriez, vraiment… Vous y rencontrez la botaniste Pat Westerford qui, après des années passées seule dans la forêt à étudier les arbres, en revient avec une découverte sur ce qui est peut-être le premier et le dernier mystère du monde : la communication entre les arbres. Autour de Pat s’entrelacent les destins de neuf personnes qui peu à peu vont converger vers la Californie, où un séquoia est menacé de destruction. Au fil d’un récit aux dimensions symphoniques, Richard Powers explore le drame écologique et notre égarement dans le monde virtuel. Son écriture généreuse nous rappelle que, hors la nature, notre culture n’est que » ruine de l’âme « . L’Arbre Monde est une lecture bouleversante, dense, lumineuse à l’intelligence aiguisée. Non seulement il signe un roman alarmant d’actualité mais il nous offre également un Grand Roman : de ceux qui restent gravés en vous, vous happent et vous captivent de leur douloureuse poésie.
Autant vous dire que j’attendais le nouveau roman, Sidérations, de Powers avec beaucoup de fébrilité et une touche d’appréhension. Peur d’être déçue, de ne pas retrouver la puissance de ses mots et la subtilité de son propos… Si dans les pages qui ouvrent Sidérations, la complexité des théories scientifiques m’a semblé trop érudite pour mes neurones, je me suis très vite fait happée, que dis-je, engloutie, non… sidérée par ce roman !
Théo Byrne est astrobiologiste, il étudie les traces de vie dans l’Univers et de ses recherches, il invente des Mondes Possibles. Dans ses balades imaginaires et scientifiques il emmène très souvent avec lui Robin, son fils de neuf ans à fleur de peau, en colère contre le monde, à la sensibilité exacerbée. Ces voyages, Théo les cartographie dans son « Guide Byrne des extraterrestres » et nous parcourons les exoplanètes en leur compagnie avec émerveillement. On découvre que l’Univers est un être vivant, que notre cerveau est un univers à lui tout seul, que l’infiniment grand s’enlace sans cesse avec l’infiniment petit et de ces volutes naissent des questions : Qu’est-ce qui est le plus grand ? L’espace dans sa totalité incalculable ou l’espace qui nous habite ? Qu’est-ce qui est le plus important ? Notre infini ou notre réalité ? Qui à la primauté ? Notre bien-être humain ou celui de la Planète dans son entièreté ?
S’il est question d’exploration spatiales pour ce père et son fils, c’est dans une promenade terrestre que nous les suivons au fil des pages. Un voyage dans une Amérique au bord du chaos, celle que l’on connait, celle d’aujourd’hui, celle de notre monde qui se préoccupe plus de son pouvoir d’achat que de ses conséquences. Celle de politiques sourds, aveugles et surtout muets sur la condition planétaire. Robin est une merveilleuse allégorie de la Terre, malade, hors norme, trop pour rentrer dans des cases qui rassurent : l’école et la société veulent qu’on le cadre, qu’on le guérisse, qu’on le réduise au silence plutôt que de le comprendre et de proposer des réponses lui permettant d’aller bien. Pas mieux, bien… Refusant les psychotropes conseillés, Théo va tenter une thérapie expérimentale utilisant l’intelligence artificielle pour rééduquer le psychisme de Robin. Les résultats sont immédiats et spectaculaires mais, comme tout ici-bas, il y a un prix à payer….
Richard Powers offre un roman magistral qui dépeint une relation père-fils de toute beauté, une complicité pleine de magie, de tendresse infinie, de douleur vive et d’amour inconditionnel. Il parvient à ouvrir les points de vue du lecteur, invite à l’empathie, à des champs de possibles, à des questionnements salutaires sans jamais donner de leçons, le tout enveloppé dans une couverture d’émotions denses et intenses.
« Un soir de la mi-août, il demanda une planète avant de se coucher. Je lui offris Chromat. Elle avait neuf lunes et deux soleils, l’un petit et rouge, l’autre grand et bleu. Ce qui produisait trois types de jour de longueur différente, quatre types d’aube et de couchant, des dizaines d’éclipses possibles, et d’innombrables saveurs de crépuscule et de nuit. La poussière dans l’atmosphère transformait les deux types de lumière solaire en aquarelles tourbillonnantes. Les langues de ce monde avaient pas moins de deux cents mots pour désigner la tristesse et trois cents pour la joie, selon la latitude et l’hémisphère».
« À trois heures du matin, la femme que j’aimais pleurait dans le noir, et moi j’avais envie de lui dire à quel point elle m’avait blessé. Telle est l’histoire dominante sur cette planète. Nous vivons suspendus entre amour et ego. C’est peut-être différent dans d’autres galaxies. Mais j’en doute. »
« Son deuxième pédiatre insistait pour le situer “dans le spectre”. J’avais envie de lui dire que tout être vivant sur cette petite planète aléatoire se situe quelque part dans le spectre. C’est le principe même d’un spectre. J’avais envie de lui dire que la vie elle-même est une aberration du spectre, et que chacun d’entre nous vibre sur une fréquence unique dans le continuum de l’arc-en-ciel. Et puis j’ai eu envie de le baffer. Pour ça aussi, il doit y avoir un nom. »
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