Un peu moins de 500 ouvrages vous attendent dans vos librairies pour cette rentrée d’Hiver 2021. Toutes les maison d’Editions sont à l’honneur et proposent des écrits confidentiels, quelques nouveaux romans et misent sur des incontournables. Petit tour d’horizon des immanquables
Andreï Makine – L’ami arménien
Le narrateur, treize ans, vit dans un orphelinat de Sibérie à l’époque de l’empire soviétique finissant. Dans la cour de l’école, il prend la défense de Vardan, un adolescent que sa pureté, sa maturité et sa fragilité désignent aux brutes comme bouc-émissaire idéal. Il raccompagne chez lui son ami, dans le quartier dit du « Bout du diable » peuplé d’anciens prisonniers, d’aventuriers fourbus, de déracinés égarés. Il est accueilli là par une petite communauté de familles arméniennes venues soulager le sort de leurs proches transférés et emprisonnés en ce lieu, à 5 000 kilomètres de leur Caucase natal, en attente de jugement pour « subversion séparatiste et complot anti-soviétique » parce qu’ils avaient créé une organisation clandestine se battant pour l’indépendance de l’Arménie. De magnifiques figures se détachent de ce petit « royaume d’Arménie » A travers l’histoire d’une amitié adolescente, Makine révèle dans ce véritable bijou de littérature un épisode inoubliable de sa jeunesse.
D’Andreï Makine, vous n’avez pu passer à côté de son Testament français, Prix Goncourt, Goncourt des lycéens et Prix Medicis, superbement roman composé de souvenirs qu’une grand-mère content à son petit-fils et confident. Je vous conseille surtout Requiem pour l’Est, roman bijou où un médecin militaire, engagé par les services de renseignements soviétiques, retrace l’hallucinant destin de son grand-père Nikolaï et de son père Pavel. En décor : la Seconde Guerre mondiale, les oppressions des années 20, les purges et les violences nazies. Un chant pour les morts d’hier et aujourd’hui, une tragédie jalonnée de crimes d’illusions perdues.
Philippe Besson – Le dernier enfant
Un roman tout en nuances, sobre et déchirant, sur le vacillement d’une mère le jour où son dernier enfant quitte la maison. Au fil des heures, chaque petite chose du quotidien se transforme en vertige face à l’horizon inconnu qui s’ouvre devant elle. » Elle le détaille tandis qu’il va prendre sa place : les cheveux en broussaille, le visage encore ensommeillé, il porte juste un caleçon et un tee-shirt informe, marche pieds nus sur le carrelage. Pas à son avantage et pourtant d’une beauté qui continue de l’époustoufler, de la gonfler d’orgueil. Et aussitôt, elle songe, alors qu’elle s’était juré de se l’interdire, qu’elle s’était répété non il ne faut pas y songer, surtout pas, oui voici qu’elle songe, au risque de la souffrance, au risque de ne pas pouvoir réprimer un sanglot : c’est la dernière fois que mon fils apparaît ainsi, c’est le dernier matin. »
Philippe Besson sait merveilleusement bien donner vie à ses personnages et les ancre dans votre réalité. Il leur prête des émotions intenses et belles. Besson sait également parler de la douleur, de la mort et des absences. Il le faisait déjà si bien dans Son frère et vous emportait très loin dans son intimité avec Arrêtes avec tes mensonges : splendide roman d’amour où l’auteur dit sa vérité.
Guy Boley – Funambule Majuscule
Avant d’écrire, Guy Boley a lu, énormément, en vrac et à l’emporte-pièce, comme tout autodidacte. Puis, un jour, il est ébloui par un livre de Pierre Michon , Vies minuscules. Il est allé le rencontrer, il y a plus de trente ans, dans une librairie, lors d’une séance de signatures. Ils sont devenus amis. Quelques années plus tard, il lui écrit cette lettre, hommage non idolâtre dans lequel il compare le métier d’écrivain à celui qui fut le sien des années durant : funambule. Qu’ont en commun l’auteur et l’acrobate ? Presque tout de ce qui rend la vie séduisante, dont ceci : chacun doit affronter le vertige, le vide, et le risque la chute. Parce qu’il a su braver la peur et se relever après s’être brisé maintes fois, Pierre Michon mérite, aux yeux de Guy Boley, le titre de Funambule Majuscule. Il nous dit pourquoi. Mais pour illustrer son propos, il partage avec nous ses souvenirs d’un temps où il risquait sa peau en traversant le ciel. Il raconte comment il grimpait des mètres au-dessus du sol pour s’élever et tendre ses cordes d’acier avant de se lancer, et nous invite à le suivre. Avec une force et une poésie brutes, il nous livre ainsi une confession inédite et une réflexion profonde et terriblement juste sur l’écriture, la littérature, et la beauté que traquent ceux qui la servent encore.
Lire du Guy Boley fait un bien fou! Il a la plume chatoyante et délicate et je ne peux que vous conseiller Quand Dieu boxait en amateur, portrait d’un homme, d’un père, d’un héros anonyme où l’auteur nous conte déjà son amour de la littérature.
Ivan Jablonka – Un garçon comme vous et moi
L’auteur explore sa » garçonnité » dans les années 1970-1980, s’interrogeant sur le » nous-garçons » et les frontières incertaines entre masculin et féminin. De sa famille au service militaire en passant par l’école, il raconte sa formation au fil d’une enquête souvent poignante, parfois drôle – toujours passionnante – où beaucoup pourront se reconnaître. Car cette » autobiographie de genre » dévoile une intimité à la fois individuelle, sociale et politique : l’histoire d’une génération. Avec une honnêteté troublante, Ivan Jablonka analyse le » malaise dans le masculin » qui fut le sien, restituant le vif et l’éclat de l’enfance dans ses enthousiasmes, ses émois et ses peines.
Ivan Jablonka continue son analyse en partant de sa propre vie, suite logique près son essai Des hommes justes. L’ouvrage propose une analyse ambitieuse qu’il est urgent de lire. Pour se débarrasser des injonctions sociétales, il faut comprendre ses mécanismes, les décortiquer et en faire autre chose. Jablonka pousse à la réflexion et c’est justement quand l’humain pense qu’il est capable des plus belles choses. Je vous en parlais ici. Après Laëtitia, après En camping-car, je me réjouis de plonger dans les pages de Jablonka.
Eric Fottorino – Marina A
A l’approche de Noël 2018, le docteur Paul Gachet emmène sa femme et sa fille à la découverte de Florence. Leur séjour est perturbé par l’apparition d’une performeuse serbe, Marina Abramovic, à travers les rues de la cité jusqu’aux salles du Palazzo Strozzi. Qui est cette femme qui malmène son propre corps pour parler à une humanité sourde et défaillante ? Chirurgien-orthopédiste, Paul Gachet répugne aux mutilations de l’artiste mais il est malgré lui envoûté par son univers qui, s’éloignant peu à peu d’une violence gratuite en apparence, exprime une recherche d’harmonie avec l’autre. Deux ans plus tard, Gachet tombe par hasard sur une photo ancienne de Marina A intitulée L’impossible rapprochement. Prise en 1983 à Bangkok, elle montre deux êtres qui voudraient se toucher mais en sont mystérieusement empêchés et doivent rester à distance l’un de l’autre. Alors qu’éclate la pandémie planétaire, Paul Gachet comprend que les manifestations de cet art étaient une forme d’alerte dont il saisit enfin toute l’importance. Une incitation à protéger l’autre, à refonder nos sociétés sur ces deux petits mots : « après vous ».
Profondément touchée par 17ans, roman très personnel où Eric Fottorino dresse le portrait solaire et douloureux d’une mère mal connue mais profondément aimée, je me réjouis de parcourir ses réflexions sur cette artiste particulière et de retrouver sa plume.
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