Vert, j’espère ?
Y a-t-il une couleur qui correspond à chaque rentrée littéraire ? Si notre époque semble plus teintée de sombre que de luminosité, les trois romans que je vous présente sont eux, d’un vert éblouissant ! Parce que si le vert est symbole de nature, d’espoir et de fraîcheur, cette couleur est aussi celle du diable. Une couleur instable, rebelle, très difficile à fixer. Comme l’Homme, comme ces trois romans, comme la révolte et comme la vie.
De pierre et d’os Berengère Cornut
Lauréate du Prix Roman Fnac 2019, Bérengère Cornut nous offre un voyage fabuleux en Terre Inuit.
Une nuit, Uqsuralik, jeune inuit, sort de son igloo, emprise à de fortes douleurs au ventre. C’est un bouleversement qui naît en elle, une étape, elle est devenue femme. Comme le symbole de cette enfance qui s’en va pour laisser place à sa nouvelle vie d’adulte, la nature fracture la banquise pour l’éloigner de l’igloo familial, de ses attaches, de toute sa vie. Dans ce fracas, son père parvient à lui lance une amulette, une peau d’ours et un harpon. Voilà le seul bagage qu’il reste à Uqsuralik pour affronter son plus grand voyage. Sa chienne Iksaluk et ses trois chiots seront les compagnons de ce périple. Ainsi commence ce superbe roman. Récit initiatique, roman d’aventure, d’apprentissage ou conte, qu’importe : Berengère Cornut nous offre un ouvrage passionnant qui met la folie des hommes au pied du mur. Folie ? Oui… Parce que si l’Arctique dur et sauvage est le décor de ce roman, c’est en premier lieu nos conditions de vie et nos comportements qui y sont décrits. Tour à tour poétique et pudique, la plume de l’autrice vous happe et réveille en vous ce qu’il y a de plus merveilleux et de plus tragique.
Les Simples Yannick Grannec
L’abbaye de Notre-Dame du Loup est un havre de paix pour la petite communauté de bénédictines qui y mène une existence vouée à Dieu et à soulager les douleurs de Ses enfants. Ces religieuses doivent leur indépendance inhabituelle à la faveur d’un roi et leur autonomie au don de leur doyenne, sœur Clémence, une herboriste dont certaines préparations de Simples sont prisées jusqu’à la Cour. Yannick Grannec nous plonge dans un XVIème siècle encore baigné de superstitions et de traditions ancestrales. On découvre ces religieuses qui cultivent les Simples, plantes médicinales qui ornent leurs merveilleux jardins. Elles vous invitent dans leurs travaux de la terre, à leurs messes et à leur dévotion, à leur dévouement envers l’autre. Elles prodiguent soins et conseils, écoutes et savoirs.
On visite à pas feutrés, l’austérité de ce monastère qui profite des faveurs royale : les sœurs peuvent exercer leur médecine du bon sens alors que la concurrence des nouvelles chirurgies et autres remèdes d’ apothicaires deviennent la norme. La renommée de l’abbaye et son indépendance ne plaît pas à ces gens de pouvoir. Parce qu’il s’agit bien de cela, de pouvoir. On pourrait croire que c’est par avancée médicales qu’on veut endiguer les connaissances des religieuses mais non, c’est par avidité. Ajoutez à cela que cet art ancestrales est exercé par des femmes.
Yannick Grannec nous emporte dans une intrigue médiévale de toute beauté. Tantôt révoltant, tantôt délicat, le récit vous baigne littéralement dans cette époque et la folie capitaliste qui y naît lentement.
Pertinent, captivant, fouillé et à la fois tendre, ce roman est d’un luminosité rare.
Éloges des Bâtards Olivia Rosenthal
Neuf personnages qui, face au danger qui les menace, sont entrés en désobéissance. Pendant cinq nuits, ils vont remonter aux origines de leur propre histoire et ainsi sceller entre eux de nouveaux liens. Un roman de réfractaires, de résistants, de chaos à la beauté sauvage. Neufs personnages qui prônent le désordre face aux abus d’un société de plus en plus fliquée et intrusive.
Il y a de l’urgence dans ce roman, comme si leur combat était déjà perdu.
Il y a une forme de colère, ou de rage, qui enserre vos tripes et exalte votre cœur.
Il y a surtout toute une humanité.
Un roman fort qui nous renvoie à nos héritages et nos origines personnelles.
Parce que les bâtards se racontent, entre eux et à votre oreille, sans fausse pudeur, avec beaucoup de délicatesse et d’empathie. Un récit qui provoque en vous une question : Qu’ai-je à raconter de moi ? Notre identité est-elle celle qu’on se construit, celle qu’on s’imagine ou celle qu’on nous prête ? Être un bâtard c’est ne pas avoir de place. Alors on doit chercher des raisons qui nous permettent de la trouver. Pour inventer ces réponses, quoi de mieux que de parler à l’autre ?
La parole est subversive, toujours, et Olivia Rosenthal libère la parole des bâtards avec brio.
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