Daniel de Roulet
Ses douces révolutions
Daniel de Roulet grandit à Saint-Imier, suit des études d’architecture et publie son premier livre dans les années 80. En 1997, il devient écrivain à temps plein. Ces vingt dernières années, il s’est consacré à un cycle romanesque constitué de dix romans qui retracent, à travers l’histoire de deux familles, l’épopée du nucléaire qui va d’ Hiroshima à Fukushima, du triomphe de la science à la mise en cause de sa démesure.
Il écrit beaucoup, sur la marche, les voyages, Ferdinand Hodler et sur la notion de « mondialité ».
En 2006, dans le livre « Un dimanche à la montagne » Daniel se confie sur sa responsabilité dans l’incendie du chalet d’Axel Springer. En 2018, il publiait ce magnifique ouvrage « Dix petites anarchistes » et nous revient en 2019 avec «A la garde», recueil de lettres qui s’adressent à son père.
A la Garde
À 97 ans, la mère de l’auteur annonce qu’elle va mettre fin à ses jours. La date et l’heure sont fixées. Pendant les quinze jours qui précèdent cette mort programmée, l’auteur adresse une lettre quotidienne à son père, pasteur décédé six ans plus tôt. Ce père admet volontiers qu’on peut perdre la foi, mais moins volontiers qu’on manque de réponse face au scandale de la mort. Daniel de Roulet rend hommage à son père pour avoir su exercer un ministère si différent et à la culture qu’il lui a transmise, permettant l’apprentissage en douceur d’un monde sans Dieu ni Maître.
A la garde est un voyage sensible dans l’intime et dans l’amour. Enrobées d’une pudeur délicate, ces lettres sont des bijoux qui retranscrivent des émotions, des souvenirs, des pensées, que l’auteur vous offre sans plus de formalité. La légèreté avec laquelle il dialogue avec ce père disparu est de toute beauté. Les mots sont aussi chauds que les réflexions sont pertinentes. Les anecdotes contées vous laissent un sourire aux lèvres et quelques paillettes humides aux coins des yeux.
Ce recueil épistolaire est la chose la plus pure, la plus harmonieuse et la plus subtile que j’ai lu depuis des années…
Il pose un regard à la fois bienveillant et résiliant sur les relations humaines, sur les rôles que la vie nous fait porter tout en s’adressant à l’humain simple, que nous sommes sous les couches sociales. Il embrasse avec douceur les liens qui font une famille, ceux qui unissent un couple, ceux qui nourrissent une vie. Les portraits que Daniel de Roulet dresse ici, tant celui du père, de la mère, que le sien, sont des tableaux raffinés et il ne reste qu’une chose après lecture : une profonde fierté d’avoir pu connaître ces gens pour quelques instants.
Dix petites anarchistes
« Ni dieu, ni maître, ni mari »
1872, le vallon de Saint-Imier, sa misère, ses troupeaux et son industrie horlogère exploitant les ouvriers paysans. La population subsiste tant bien que mal et la venue de Bakounine en Suisse pour le congrès de la fondation de l’Internationale Antiautoritaire va éveiller les consciences. Un autre monde est possible, un monde de révolte, d’indépendance et d’utopie. Dix femmes âgées de 17 à 31 ans, dix petites anarchistes qui vont prendre leur destin en main, lasses de subir et de n’avoir pas droit au chapitre, beaucoup sont veuves, fille-mère, toutes sont miséreuses. Elles disent non à la précarité et décident de tenter leur chance ailleurs. Avec leur marmaille, elles embarquent sur La Virginie, le navire qui emporte les déportés de la Commune, parmi lesquels Louise Michel.
De Punta Arenas en Patagonie jusqu’à Buenos Aires, en passant par l’île de Robinson Crusoë, ces femmes tentent de mettre en place une communauté où régnerait « l’anarchie à l’état pur ».
Femmes farouches, volontaires, jusqu’au boutistes, c’est l’utopie d’un monde égalitaire, l’amour de la liberté et le courage qui les feront avancer malgré les peines et les difficulté qu’offre ce voyage.
La Terre nouvelle n’est pas plus riche que celle qu’elles ont quitté, mais là, elles ont tout à inventer. A force de bras et de rêves, elles construisent une communauté qu’elles ont choisie. Sur ce sol pauvre, elles bâtissent des cabanes, pétrissent leur pain, organisent leurs forces et exploitent la seule chose exploitable : la solidarité !
Daniel de Roulet (re)éveille en vous la révolte dans un roman à la fois noir et lumineux qui vous transporte littéralement.
Un dimanche à la montagne
Un attentat terroriste en Suisse, en 1975. Soyons honnêtes, le sujet prête à sourire, pourtant nous ne sommes pas dans une fiction. Un dimanche à la montagne est le récit, 30 ans plus tard, d’un crime commis par l’auteur lui-même : il a mis le feu à un chalet, inhabité, qui appartenait à un magnat de la presse allemande, Axel Springer. Tout le monde pensait que la RAF (Fraction Armée Rouge) était à l’origine de cet incendie. Parce qu’on ne peut pas dire qu’Axel Springer était un simple montagnard. Accusé de nazisme, fondateur du Bild et autres journaux jugés réactionnaires, les groupements allemands d’extrême gauche ne sont pas vraiment sa tasse de thé. La police ne trouvera jamais les coupables, et pour cause, ils étaient suisses.
Daniel de Roulet avait 30 ans et était déjà un auteur et homme engagé. Son livre conte cette folle journée de l’hiver 1975 où deux jeunes gens ont, tout seuls et avec beaucoup de soins, ont préparé leur méfait. Noms d’emprunt, mise à feu ingénieuses et alibi en poche ils rejoignent le chalet à skis avant d’aller poster des communiqués de presse farfelus qui laisseront les enquêteurs dans le flou.
Daniel de Roulet avoue son crime mais également son erreur quant à son jugement sur Axel Springer et son appartenance au mouvement nazi. Il doit écrire ce livre, dire sa méprise et ses actes, sinon, il ne pourra plus jamais écrire. Il raconte avec une plume captivante, son périple, ses motivations, ses idéaux et l’amour pour sa complice.
La sortie du livre en 2006 a ébranlé le pays helvète, plus habitué à la tranquillité médiatique qu’aux gros titres. La presse l’accuse d’orchestrer ses aveux, de profiter de la prescription pour gagner de l’argent et les politiques, de droite surtout, l’accuse de lâcheté, de terrorisme tout en réclamant qu’il rembourse les différentes aides reçues en tant qu’écrivain. Daniel de Roulet répondra que « La prescription est un droit humanitaire. » et rétrocède ses droits d’auteur à l’ECA.
Un récit fantastique qui revisite une histoire, qui parle d’autocritique, du temps qui passe, des amours perdues.
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