Joy Harjo ou la voix d’une nation qui se tient toujours debout
Je vous parlais de Joy en 2020, lors de la parution chez Globe de son flamboyant Crazy Brave. Après la parution de l’Aube américaine, les éditions Globe nous offrent aujourd’hui un troisième ouvrage, Poet Warrior, de la poétesse Creek et son premier roman sort en poche chez J’ai lu.
Joy Harjo est née de parents Cherokee et Creek et commence très jeune à écrire de la poésie. Ses rimes s’inspirent de sa culture amérindienne, de la sagesse de ses ancêtres, et traduisent la puissance de ces symboles, la force féminine, et témoignent de son incroyable humanité. En 2019, elle est la première femme amérindienne a être nommée Poet Laureate des Etats-Unis.
Crazy Brave est un court texte qui se dévore en une nuit, parce qu’il brûle comme un feu ardent. Récit autobiographique, il nous raconte le parcours frénétique de la petite Crazy Brave « follement courageuse » traduction en Creek du nom de Harjo.
Crazy. Folle. Oui, elle doit être folle, cette enfant qui croit que les songes guérissent les maladies et les blessures, et qu’un esprit la guide. Folle, cette jeune fille de l’Oklahoma qui se lance à corps perdu dans le théâtre, la peinture, la poésie et la musique pour sortir de ses crises de panique. Folle à lier, cette Indienne qui ne se contente pas de ce qu’elle peut espérer de mieux : une vie de femme battue et de mère au foyer.
Brave. Courageux. Oui, c’est courageux de ne tenir rigueur à aucun de ceux qui se sont escrimés à vous casser, à vous empêcher, à vous dénaturer. De répondre aux coups et aux brimades par un long chant inspiré. D’appliquer l’enseignement des Ancêtres selon lequel sagesse et compassion valent mieux que colère, honte et amertume.
Crazy Brave. Oui, le parcours existentiel de Joy Harjo est d’une bravoure folle. Comme si les guerres indiennes n’étaient pas finies, elle a dû mener la sienne. Une guerre de beauté contre la violence. Une guerre d’amitié pour les ennemis. Et elle en sort victorieuse, debout, fière comme l’étaient ses ancêtres, pétrie de compassion pour le monde. Les terres volées aux Indiens existent dans un autre univers, un autre temps. Elle y danse, et chacun de ses pas les restaure.
La vie de Joy Harjo force l’admiration, sa plume vous touche. La révolte, l’injustice mais également la puissance créative comme le spirituel se dégage de ses mots. Naître amérindienne dans les années 50 c’est grandir avec la tradition d’une culture incroyable et la modernité d’un monde qu’on a envie d’embrasser. Crazy Brave aura besoin d’une vie pour harmoniser son être et on ne peut être que touché par son chemin ![/
Avec Poet Warrior, Joy nous entraîne le long de la route qui a fait d’elle une poète guerrière.
Poète, elle l’est depuis sa naissance dans la banlieue de Tulsa, en Oklahoma. Enfant, elle écoute le bruit de la terre, et entend déjà la voix des Anciens.
Guerrière, elle est obligée de le devenir : pour résister à la violence d’un beau-père, au racisme de la police, au mépris réservé à toutes les personnes marginalisées.
« J’ai commencé à écrire de la poésie parce
que je n’entendais jamais les voix des femmes
amérindiennes dans les débats politiques,
et comment nous étions en train d’aller
de l’avant en respectant ces lois élémentaires et communes à tous les peuples telles
que traiter avec respect toute forme de vie,
honorer ses ancêtres et cette terre. »
Poet Warrior continue le chemin autobiographique de l’autrice. Elle laisse voguer les souvenirs et livre sa mémoire dans une mélopée envoutante. Contrairement à Crazy Brave que l’on dévore, cet ouvrage se lit dans le calme, se savoure et nous plonge dans des réflexions intenses. Écrit dans une langue plus archaïque, elle nous initie à la tradition orale où il est toujours question de transmission, de force féminine, des douleurs et de pardon. Au final, de poésie.
Joy raconte son peuple, qu’elle à du redécouvrir. Elle raconte qu’avant le départ de leur terre, certains sont forcés d’assister à l’intrusion dans leurs maisons de colons armés de Bibles et de fusils. Parmi eux, l’ancêtre de Joy Harjo, Grand-père Monahwee, offre son portrait à l’un de ces gentlemen en le priant de le montrer à ses enfants et de leur raconter son histoire. Quant à moi, dit-il, je ne désire plus voir un seul visage blanc quand j’aurai franchi le Grand Fleuve et serai arrivé en Oklahoma. Il vivra presque centenaire et tiendra parole. Deux siècles plus tard, Joy Harjo décide de revenir sur ces terres par de vieilles pistes. Pour dire l’espérance sans taire la colère. Pour rendre justice à la souffrance sans négliger l’amour intact de la Nature et de tous ses habitants. Pour maintenir la mémoire vive sans entraver le repos des morts. Pour accomplir les rituels, pour réparer ce qui peut l’être, pour épargner aux enfants et petits-enfants les nœuds inextricables des regrets. Pour célébrer, en poète, les noces du deuil et de la paix de l’âme, de l’horreur et de l’aurore américaines.
Dans ses poèmes, elle chante la grandeur et la cruauté d’un pays qui s’est construit dans la violence et le vol des terres de ses ancêtres. À sa voix se mêlent celles de tous ceux qui l’ont inspirée, des poètes aux musiciens, d’Emily Dickinson à Audre Lorde, de sa tante Lois au saxophoniste Jim Pepper. Entre la mélopée d’un chant traditionnel et la mélancolie d’un air de blues, Joy Harjo fait entendre l’hymne d’une nation qui se tient toujours debout.
Chanter espérance mais ne pas taire la colère
Autrefois, on n’entendait pas de coup de feu sur ces terres ;
on entendait chanter les arbres et les pierres.
Si tu luttes contre l’eau, tu coules.
Ces terres ne sont pas nos terres.
Ces terres ne sont pas vos terres.
Nous sommes ces terres.
J’étais la chienne du désir
Je mangeais quand j’étais nourrie.
Je faisais ce qu’on me disait
Je savais m’asseoir, me lever et me coucher sur le dos sur commande
Quand on me caressait, j’étais comblée
Même quand je rêvais, je rêvais une chaîne autour de mon cou.
Le désir est un os avec des reliques de gras
Je suis restée couchée aux pieds du désir des années
Un nom est comme une couronne que l’on place sur votre tête
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