Une uchronie jurassienne empreinte de fantastique
Le surnaturel habite le Jura. Il imprègne ses pâturages et lie ses habitants à leur région par un attachement particulier. Certains êtres sensibles ont le don de percevoir cette magie, ils souffrent dans leur chair quand on agresse leur terre.
C’est le cas du petit Mathis, enfant de notre époque, qui donne des coups de mains au gentil papy Alcide, gardien de la mémoire jurassienne au musée du village. Quand il découvre qu’un chantier de pelles mécaniques menace la tourbière de la région, il est pris de malaise et son quotidien léger d’enfant est bouleversé.
Mais c’est également le cas de Jéhan, adolescent qui trime aux champs dans le Jura de 1651. Il vit dans la ferme familiale avec un père aussi rêche que le caillou, un petit frère à la naïveté encore intacte et une grand-mère incroyable, Tiennette; gardienne des remèdes naturels, du rythme des saisons et des savoirs immémoriaux. Quand il découvre que les riches fermiers fomentent pour acquérir les meilleures pâtures, la révolte gonfle en son cœur.
En 2024, les gens sensibles, on s’inquiète de leur santé mentale, on pose un diagnostic qui rassure et on les soigne. En 1651, généralement, on les accusait de pactiser avec le diable et on les brûlait.
Ce fut le cas de la mère de Jéhan qui a fini au bûcher.
Depuis, sa famille vit en marge du village. Avec le peu de bétail qui lui reste, ils joignent les deux bouts difficilement. Aux côtés de Jéhan et de sa fantastique grand-mère Tienette, on embrasse toute l’histoire de la paysannerie jurassienne, mais aussi celle de la chasse aux sorcières en Suisse. De bigoterie en injustice de classe, on est rivé au récit et votre ventre se noue, tantôt révolté, tantôt profondément malheureux.
Quant à notre époque, le petit Mathis participe à une pièce de théâtre de son école pour le cinquantenaire de l’indépendance jurassienne. Qui de mieux que le vieil Alcide, l’ancien (toujours) Bélier, pour le guider dans son rôle et surtout remettre quelques points en lumière. Parce que la mémoire de la question Jurassienne peut être modifiée, suivant qui la raconte. Si l’on ne peut accuser la maitresse d’école de partialité, force est d’admettre qu’elle a épousé un militaire… Sara Schneider choisit l’uchronie en imaginant que la place d’arme des Genevez s’est construite, et par ce biais elle vous déroule toutes les luttes du Jura, celle des Franches-Montagnes et vous vous passionnez pour ce morceau d’histoire !
L’écho de la mémoire
C’est un roman en deux temps, voire quatre, qui vous enveloppe tout entier. Ni véritablement roman historique, ni purement fantastique, l’autrice dose tous les ingrédients et trouve la recette parfaite pour faire de Place d’Âme un roman de Justice. Un récit palpitant, aux personnages incroyables, détestables pour certains, inoubliables pour d’autres et qui vous rend bien moins con !
Parce que savoir c’est comprendre, apprendre c’est grandir, s’interroger c’est résister.
Merci pour Mathis et Jéhan. Merci pour Tienette et Alcide. Merci pour la colère et la justice. Merci pour les quelques larmes et les rires. Merci pour la fierté qui a gonflé mon cœur tout au long de cette lecture!
Bravo Sara, la question Jurassienne méritait ce roman !
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