« La littérature, c’est le langage devenu langage ; la langue qui s’incarne. J’écris avec la respiration, pour découvrir le sacré, celui de la vie. Je crois être un romantique décidé, qui rend grâce à la mémoire. »
Écrivain autrichien, père de nombreux ouvrages : romans, essais, poésies et pièces de théâtre, il reçoit la célèbre distinction en 2019.
Fils d’une Slovène et d’un soldat allemand, il grandit à Berlin-Est puis en Autriche. La précarité de son enfance et l’isolement de la petite ville de Griffen feront naître en lui une révolte : celle des petites gens, pauvres et restreints. Cette prise de conscience et l’indignation qui en découle le suivront toute sa vie et imprègnent ses écrits. Petit tour d’horizons des « immanquables » de Peter Handke.
Le colporteur et l’Angoisse du gardien de but au moment du penalty
Deux ouvrages qui permettent d’appréhender le style particulier de Peter Handke. L’auteur rejette très vite les modèles dominants de la littérature. Il y préfère une révolte langagière et narrative comparable au Nouveau roman ou au Théâtre de l’absurde.
Avec le Colporteur vous plongez dans une enquête où cet exercice de style vous happe complètement.
Quelqu’un, c’est le colporteur, est témoin d’un crime. Étranger au lieu, simple voyeur , il est soupçonné. Son attitude l’accuse. Il est poursuivi. Finalement libéré, au lieu de s’éloigner, il reste sur les lieux. Nouveau crime. Suspect de nouveau, il est arrêté, emprisonné. De nouveau libéré, il ne s’éloigne toujours pas. Pris au jeu, soupçonné, allant jusqu’à comprendre qu’il pourrait se soupçonner lui- même, il devient pur constat, comme le livre lui-même. Il enquête. Il découvre un fait caché aux autres. Pour finir, il trouvera le vrai coupable. Ce roman policier est en fait mi-théorique, mi-narratif. Chaque chapitre a deux parties. L’une met en avant les principes, l’autre présente la suite de l’action, qui ne confirme que rarement ces principes. Ouvrage rapide, laconique, où se rencontrent cependant, en passant, certaines réflexions qui ont valeur d’aphorismes. Le colporteur place Peter Handke parmi les écrivains majeurs de la littérature allemande contemporaine.
Avec l’angoisse du gardien de but vous prenez rendez-vous avec un ancien gardien de but qui se croit licencié de l’entreprise où il travaille, alors il quitte tout. Son errance finit par se transformer en vraie fuite après qu’il a étranglé une caissière de cinéma. Il va se livrer à de gratuites et dangereuses extravagances, jusqu’au jour où il assiste à un match de football au cours duquel le gardien de but réussit à arrêter un penalty : sa peur va alors être jugulée. Cet itinéraire intérieur, aux fausses allures de roman policier, permet à Peter Handke de démontrer sa maîtrise de l’écriture et expose son talent au monde entier.
La chevauchée sur le lac de Constance
Dans cette dernière on retrouve le style particulier d’Handke. Les personnages sont les comédiens eux-mêmes, les acteurs qui l’interprètent : individus – et non stéréotypes – qui s’interrogent sur leurs rapports avec leur vie, leur métier, les problèmes de la création, l’intervention du concret.. Jusqu’à ce qu’ils finissent comme pétrifiés après l’irruption d’une comédienne jouant le rôle d’une femme de ménage, mais qui porte dans ses bras un bébé hurlant : ils étaient déjà morts et ils l’ignoraient, de même que le cavalier d’une ballade célèbre en Allemagne tombe foudroyé lorsqu’il s’entend dire que ce lac de Constance dont il cherchait à atteindre la rive, il vient d’en traverser sans le savoir la surface gelée.
Si ce voyage à Bodensee est un régal littéraire, L‘Outrage au public l’est encore plus. Une pièce sans histoire, sans intrigue, sans fil narratif, une pièce qui se raconte elle-même. Pas d’histoire pour nous accrocher comme à un hameçon, pas d’histoire conçue pour s’évader, mais seulement la réalité nue du moment dans l’espace. Handke écrit une pièce provocante tant par son titre que par sa forme. Il critique un théâtre alors engoncer dans un seul style reconnu, incapable d’innover et de se remettre en question. Si la dramaturgie a évolué depuis cette année 1966, le texte reste sublime et puissant.
« Nous ne voulons pas vous contaminer. Nous ne voulons pas vous communiquer le virus de l’un ou l’autre sentiment. Les sentiments ne nous intéressent pas. Nous n’incarnons pas de sentiments. Nous ne rions pas, nous ne pleurons pas. Nous ne cherchons pas à vous faire rire avec des grimaces, ni pleurer avec des pitreries, ni rire avec des larmes, ni pleurer avec des larmes. Bien que le rire soit plus contagieux que les larmes, nous ne cherchons pas à vous faire rire avec des grimaces. »
Peter Handke a écrit de la poésie et pour aborder cet univers, passons par Poème à la durée
Ni essai, ni pièce, ni histoire . A la durée, un poème, comme si elle était un être vivant, corporel, comme si avec elle on pouvait discuter. Le poème comme une offre, une avance, comme s’il fallait seulement que l’un et l’autre disent « oui ». Qu’est-ce que la durée, qu’était-elle ? Car elle se fonde sur du passé, elle naît, puisque s’est enfui dans le présent et devient futur accompli. Le poème à la durée est un exercice spirituel et corporel. La durée n’est pas un cadeau, elle est résultat, elle est un état accessible. Un poème à la durée ne veut rien d’autre que prétendre à ce que l’homme ne peut plus exiger depuis sa chute. C’est un un déroulement dialectique : reconnaître dans l’éphémère, dans le fragile ce qui est durable et le conserver dans un poème, une œuvre d’art, synonyme d’éternité terrestre
Essai sur la fatigue ; Essai sur le Juke-box ; Essai sur la journée réussie
Vous aimez les essais ? Moi, j’aime profondément ces prises de parole parfois futiles ou partisanes, toujours intimes et réfléchis. Avec ces trois essais de Peter Hanke Essai sur la fatigue ; Essai sur le Juke-box ; Essai sur la journée réussie, on accompagne l’auteur dans son cheminement sur l’apparente insignifiance de petits faits et en révèlent l’inépuisable madère poétique
S’il est une fatigue qui creuse les êtres, s’il est aussi une » mauvaise » fatigue oisive, celle des tueurs survivant de l’extermination, il en est une tout autre forme aussi qui tout au contraire les fait clairvoyants. Elle rend attentif et confère une attention toute particulière qui agrandit ou exorbite les objets les plus dérisoires ou les plus surannés, tel un juke-box autour duquel pourtant toutes les impressions et les histoires peuvent se concentrer et réorienter le regard. C’est ainsi qu’une journée peut » réussir » par la réinvention toute simple du monde quotidien : la courbe d’une voie de chemin de fer y suffit. Les trois essais réunis ici restituent ce cheminement dans l’apparente insignifiance de petits faits et en révèlent la profondeur poétique.
Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina
Un écrivain prolifique comme Peter Handke ne peut pas avoir un parcours parfait. S’il est un ouvrage qui n’a pas plu, c’est certainement Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina .
« C’était à cause des guerres surtout que je voulais aller en Serbie, dans la pays des « agresseurs » comme on les nommait en règle générale. Mais cela m’attirait aussi de voir simplement ce pays, celui de tous ceux de Yougoslavie que je connaissais le moins et qui m’attirait le plus à cause de toutes les informations et opinions répandues à son sujet, le plus intéressant pour ainsi dire, avec toutes les rumeurs dérangeantes qu’on en entendait ». Voila les motivations de Peter Handke pour entreprendre ce voyage et en écrire le récit. Il provoquera de violentes controverses quant à sa position sur les massacres de Srebrenica et son soutien au peuple serbe. La présence de l’auteur aux funérailles de Slobodan Milošević relancera cette polémique et menacera même son œuvre de censure. Je vous laisse seul juge, personnellement je lis les romans de Peter Handke sans aucune culpabilité littéraire.
Les beaux jours d’Aranjuez
Si les livres de Peter Handke viennent à nous sous forme de traductions, réussies, il en est un qu’il a écrit en français et qui permet de goûter à son style en toute intégrité : Les beaux jours d’Aranjuez. Un émouvant dialogue sur l’amour où une femme et un homme, dans la complicité que permet sans doute une longue intimité et la beauté d’un soir d’été, parlent de l’amour, de la première fois, échangent des souvenirs intimes dans un jardin qui est comme le premier jardin. Ils en parlent comme s’ils cherchaient à se remémorer chaque fois ce qui, dans l’amour et jusque dans ce qu’il peut avoir de trivial, de dur parfois, exalte l’homme et la femme jusqu’à les hausser au rang de rois et de reines, les illumine d’une lumière qui en fait l’égal des dieux. A ces souvenirs se mêlent, comme toujours chez Handke, des descriptions qui témoignent d’une attention exceptionnelle au monde, à la nature, à ces signes presque imperceptibles qui sont indissociables des mystères de l’amour que l’homme et la femme cherchent à déchiffrer.
Je termine cet article par le Peter Handke, homme de cinéma. Réalisateur et scénariste, il signe quelques perles comme Les beaux jours d’Aranjuez, Les Ailes du désir et Faux mouvements de Wim Wanders ou encore La Cité des Anges de Brad Silberling.
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