Des pages à l’écran, quand l’exercice est réussi
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Attention attention! Les ultra-fans de Gibson vont détester cette adaptation! Parce que les romans de William Gibson ont une particularité; ils sont minimalistes, avares en détails, d’une efficacité redoutable certes mais aussi nébuleux que possible. Et n’en doutez pas: c’est génial! La série de la plateforme au sourire jaune est bien plus fournie, grand publique et défouraille le genre Gibson. Pourtant, c’est une bonne adaptation du roman! Ha! Je le dis parce que je suis ultra-fan de Gibson mais pas puriste pour deux sous!
Plantons le décor: 70ans après Le Jackpot, le grand effondrement, Flynn Fisher se débrouille comme elle peut pour joindre les deux bouts avec son job dans une imprimerie 3D. Flynn est aussi une gameuse et une très bonne gameuse. Entre sa mère aveugle dont il faut payer les médicaments et son frère, ex marine traumatisé vivant dans une caravane délabrée et gameur lui aussi, notre héroïne joue quelques parties en VR pour se faire un peu d’argent facile. Un soir, au cours d’une session située dans un Londres déserté, elle assiste à une mort d’un réalisme saisissant : il ne s’agissait pas d’un jeu. Le futur qu’elle a vu est bien réel, elle a été témoin d’un meurtre et est désormais menacée par des inconnus vivants dans cet avenir. Qui l’a payée aussi rondement pour cette partie? Où se situe ce Londres? Comment se balade-t-elle de là-bas à chez elle? Y-a-t-il des conséquences à ce voyage dans le temps?
Périphériques joue d’un présent situé dans notre futur, et d’un passé qui est notre très proche avenir, dans des mondes parallèles qui communiquent pour ne pas coïncider. Dans l’avenir, les périphériques sont nos extensions, des androïdes manipulables à distance, comme des corps humains télécommandés, qui permettent de visiter le passé, et donc de le modifier. Les humains du futur tentent ainsi de réparer leur passé, comme une culpabilité rétroactive. Gibson use ici, sur un mode littéraire, de toute la culture SF, futur dystopique, technologie, voyage dans le temps et monde parallèle, sans oublier cette touche de désespoir qu’il manie à merveille!
Le style Gibson c’est: beaucoup de personnages mais peu de détails. Il faut vous laisser faire, ne pas vouloir tout comprendre et faire confiance à l’auteur: il sait où il vous emmène! C’est d’autant plus déstabilisant quand dans Périphérique il y a plusieurs mondes, et donc les mêmes personnages, dans plusieurs configurations… En cela la série est plus cool, plus immersive et les caractères sont développés de façon à s’y attacher très vite. Si le média visuel s’autorise un peu de liberté avec le personnage de Wilf, dans l’ensemble tous bien respectés. Gibson a voulu un roman avec deux visions: celle de Flynn et celle de Wilf qui sont développées dans une continuité parfaite alors qu’ils sont en totale intemporalité… C’est exercice est purement littéraire et quasi impossible en visuel, sans tomber dans deux films qui se télescopent mais en cela la série s’en sort pas trop mal. Les deux narrateurs nous embarquent assez bien dans leurs mondes respectifs et les différences, comme les conséquences, deviennent intéressantes bien que beaucoup plus passionnantes dans le livre.
Un autre point fort de ce roman: les innovations technologiques de ce futur post-apocalyptique. Périphérique innove, bien qu’on soit en 2023, il propose un futur à l’esthétique glaçante mais intriguant. La collapsologie du roman, le Jackpot, est tout simplement génial, merveilleusement bien traité et je n’en dirais pas plus ici pour ne pas gâcher votre plaisir. Si dans la série on s’y attarde plus, et plus tôt que dans le roman, il reste encore beaucoup à développer (j’espère) dans les prochaines saisons.
En résumé, la série est une bonne série pour tout publique: elle s’appuie sur un bon terreau SF que Gibson a travaillé et si elle ne s’attarde pas trop sur le labeur et les techniques, elle en offre la récolte: savoureuse et esthétiquement réussie. Les aficionados de SF seront peut-être un peu déçus de ne pas avoir le cerveau retourné chaque 8 minutes mais elle reste quand même assez évasive pour que le spectateur se pose des questions. Le meurtre et son enquête sont quand à eux, faiblement traité: on pouvait s’attendre à une intrigue plus prenante et plus consistante mais dans le roman également il faut avouer que ce sujet n’est pas ce qui a été le mieux écrit.
Une série visuellement bluffante, ambitieuse sans être hermétique, qui se permet quelques facilités scénaristique mais qu’on excuse grâce à la performance remarquable des acteurs. A la hauteur du roman? Pour cette première saison: oui. Si Périphérique n’est pas un GRAND Gibson, c’est un bon roman de SF, stimulant et efficace.
Si vous voulez lire du GRAND Gibson, foncez sur la trilogie du Neuromancien, vraiment! N’hésitez pas, c’est juste époustouflant!
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