Est-ce un oiseau, est-ce un avion, est-ce Superman ?
Non, c’est un roman
J’avais l’envie de vous présenter quelques nouveautés qui m’ont particulièrement touchée : par leur contenu ou sujet, et certainement par leur forme. Parce qu’il s’agit ici de romans qui n’ont pas été écrits comme des romans. On entend parfois le terme d’OLNI (objet littéraire non identifié). Je trouve ce mot joli, adoptons-le.
Eugène, Sylvie Blondel, Arthur Brügger, Le Livre des suites, Nouvelles, avec Valmir Rexhepi, Valentino & Yanis, Jonathan Corbillon, Patrick Rotta, Nicolas Labat, Lucianne Jaggi, Wren Emerson, Hugues Petermann, Solène Grand, Sarah Frund
Eugène – Le livre des débuts – Le livre des suites
Ma toute première découverte date de 2015 avec Eugène et Le Livre des débuts. Si je vous en parle aujourd’hui c’est que Le livre des suites est sorti fin 2018.
L’histoire de ces deux ouvrages est pleine de malice. J’adore la malice !
Inspiré du non finito ou Esthétique de l’inachevé, Eugène écrit le premier livre en ne proposant que des débuts. Onze commencements d’histoires qu’il vous offre sans plus de manière.
Un cadeau, ça ne se refuse pas !
Des morceaux de vies, des personnages singuliers ou des situations particulières qui ne demandent qu’à être racontées.
La démarche peut surprendre, frustrer ou ouvrir délicatement la porte de votre créativité.
Je me retrouvais un peu déstabilisée face à ces introductions, sans parvenir à saisir leur lien. Mais la plume d’Eugène est belle, sa pertinence et son parfait travail d’écriture font qu’instinctivement votre imagination comble le vide.
Certains textes ne m’ont que peu inspirée, d’autres m’ont emportée loin dans des histoires drôles, touchantes ou tragiques. Rien que pour ce tour de force je ne peux que saluer la démarche de l’auteur. L’histoire ne s’arrête pas là, puisque Eugène transforme ce non finito en œuvre participative par le biais d’un concours d’écriture et donc de Suites. J’adore !
Nous voici en 2018 et le Livre des suites pointe le bout de son nez avec ses treize lauréats. Je me suis précipité sur ces nouveaux textes pour comparer mes inspirations à celles des auteurs et pour découvrir des aventures que je n’avais même pas imaginées.
Joseph Ponthus – A la ligne – feuillets d’usine
Rentrée d’hiver 2019, plein de nouveaux ouvrages à découvrir, choyer, ranger. Quelques manchettes m’interpellent, de belles illustrations, auteurs connus que j’ai plaisir à retrouver et soudain ma curiosité s’emballe. Tout m’attire dans ce livre, ce nom particulier, le titre qui sonne comme une comptine et cette couverture si délicate… A la ligne – feuillets d’usine
Joseph Ponthus part vivre en Bretagne et d’éducateur spécialisé en région parisienne, le voilà ouvrier d’usines. Conserverie de poissons, égouttage de tofu et abattoir. Pendant deux ans, Joseph noircit des petits carnets de ressentis, impressions et observations de ses journées de travail. Traits d’humour, tranches de vie, réflexions de collègues, Joseph écrit comme il pense, directement transcrit sur le papier. Sorte de poésie libre, sans ponctuation, brut et pourtant si tendre.
Cet ouvrage m’a bouleversée, vraiment. Parce qu’il possède un rythme affolant : mouvement perpétuel de la vie, tantôt dérisoire, tantôt dramatique, toujours animé.
« C’est l’usine qui a donné le rythme : sur une ligne de production, tout s’enchaîne très vite. Il n’y a pas le temps de mettre de jolies subordonnées. Les gestes sont machinaux et les pensées vont à la ligne. » Ponthus parle de littérature, d’humains, de divagations et de douleurs. Il parle de résignation, de doctrine, d’anonymat et de lucidité. Il pose des mots sur notre époque et je mets au défi quiconque de ne pas être ému de ses pudiques confidences.
Cet ouvrage raconte la condition ouvrière, et même si l’on ne travaille pas tous à la chaîne, l’on sent bien qu’il parle de nous tous…
C’est peut-être ce qu’il y a de plus violent dans ce bouquin, la réalité glaçante est si joliment contée.
« C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer. Par la magie d’une écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient une odyssée où Ulysse combat des carcasses de bœufs et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes ».
« Après le succès d’Assez de bleu dans le ciel, Maggie O’Farrell revient avec un nouveau tour de force littéraire. Poétique, subtile, intense, une œuvre à part qui nous parle tout à la fois de féminisme, de maternité, de violence, de peur et d’amour, portée par une construction vertigineuse. Une romancière à l’apogée de son talent. Il y a ce cou, qui a manqué être étranglé par un violeur en Ecosse. Il y a ces poumons, qui ont cessé leur œuvre quelques instants dans l’eau glacée. Il y a ce ventre, meurtri par les traumatismes de l’accouchement… Dix-sept instants. Dix-sept petites morts. Dix-sept résurrections. Je suis, je suis, je suis. I am, I am, I am ».
Maggie O’Farrell – I am I am I am
À peine remise de mon immersion en usine, le nouveau Maggie O’Farell débarque en librairie. Je n’ai jamais lu cette autrice, incapable de franchir le pas, allez savoir pourquoi. Pourtant elle a tout pour me plaire, une écriture éclatée en mode roman choral, des personnages féminins forts et des sentiments fouillés, profonds. Mais non, un a priori ou je ne sais quoi m’empêche de l’atteindre.
Et je découvre I am I am I am , hommage au superbe poème de Sylvia Plath, avec ce cœur floral en couverture et ce bleu, glaçant, hypnotisant.
C’est maintenant : Maggie et moi avons rendez-vous !
C’est un roman anatomique qu’elle nous propose. Le corps comme prétexte au voyage. Chaque organe, membre, est une gare pour conter un souvenir, une douleur ou une fièvre. Dix-sept récits, à peine des nouvelles, qui dressent une chronologie de petites morts sans jamais frôler le pathos ni la noirceur. Parce que les mots de Maggie sont lumineux, humbles et d’une perspicacité bouleversante.
Laisser un commentaire