Olga Tokarczuk
Mais, Céline ? Tu viens de faire un article sur Peter Handke, prix Nobel 2019 ! Oui mais qu’est-ce que j’y peux, moi, si le prix Nobel de Littérature 2018 a été décerné en 2019 ? Le calendrier des distinctions ayant été ébranlé par un scandale au sein du jury, ils ont préféré faire profil bas et remettre à l’année suivante la célébration. Certes, bref, soit et autres adverbes d’affirmation, toujours est-il que je suis vraiment très heureuse qu’Olga Tokarczuk reçoive Prix Nobel de Littérature 2018, en 2019 !
Olga Tokarczuk est Polonaise, diplômée en psychologie, elle a travaillé longtemps avec des patients souffrant de troubles mentaux. Femme obstinée et engagée, ses romans sont sublimes, mystérieux, envoûtants et d’un complexité enchanteresse. Elle est la romancière polonaise la plus traduite en français dont la majeure partie de ses ouvrages aux Éditions lausannoises Noir sur Blanc.
Les Pérégrins
Je découvrais Olga Tokarczuk par Les Pérégrins, merveilleusement traduit par Grazyna Erhard, et tombais éperdument amoureuse de sa plume.
En une myriade de textes courts, Les Pérégrins compose un panorama coloré du nomadisme moderne. Routards, mères de famille en rupture de ban, conducteur de ferry qui met enfin le cap sur le grand large : qu’ils soient fuyards ou conquérants, les personnages sont aux prises avec leur liberté, mais aussi avec le temps. Et ce sont les traces de notre lutte avec le temps que relève l’auteur aux quatre coins du monde : depuis les figures de cire des musées d’anatomie jusqu’aux méandres de l’Internet, en passant par les cartes et plans. À travers les lieux et les non-lieux de ses voyages, Olga Tokarczuk a rassemblé des histoires, des images et des situations qui nous éclairent sur un monde à la fois connu et absolument mystérieux, mouvant réseau de flux et de correspondances. Sans jamais nous laisser oublier que « le but des pérégrinations est d’aller à la rencontre d’un autre pérégrin ».
Un carnet de voyages baroque, tressé de foultitude de notes, récits et correspondances qui vous emporte loin en vous même et au travers du Monde. Jamais ostentatoire, toujours instruit, Olga dresse une ode au voyage avec un V majuscule et une poésie ultime.
Sur les ossements des morts
Après le grand succès des Pérégrins, Olga Tokarczuk nous offre un roman superbe et engagé, où le règne animal laisse libre cours à sa colère. Voici l’histoire de Janina Doucheyko, une ingénieure en retraite qui enseigne l’anglais dans une petite école et s’occupe, hors saison, des résidences secondaires de son hameau. Elle se passionne pour l’astrologie et pour l’œuvre de William Blake, dont elle essaie d’appliquer les idées à la réalité contemporaine. Aussi, lorsqu’une série de meurtres étranges frappe son village et les environs, au cœur des Sudètes, y voit-elle le juste châtiment d’une population méchante et insatiable.
La police enquête. Règlement de comptes entre demi-mafieux ? Les victimes avaient toutes pour la chasse une passion dévorante. Quand Janina Doucheyko s’efforce d’exposer sa théorie – dans laquelle entrent la course des astres, les vieilles légendes et son amour inconditionnel de la nature –, tout le monde la prend pour une folle. Mais bientôt, les traces retrouvées sur les lieux des crimes laisseront penser que les meurtriers pourraient être… des animaux !
Un roman fantastique, un polar, une légende ? Je ne saurais classer ce livre et ce n’est pas important tant la trame, la plume et l’univers crée par Olga est prodigieux. Sur les ossements des morts est une conte fabuleux, transcendant et émouvant. Tantôt sombre et poignant, il passe par des luminosités captivantes et foudroyantes !
« Il y a un vieux remède contre les cauchemars qui hantent les nuits, c’est de les raconter à haute voix au-dessus de la cuvette des W.-C., puis de tirer la chasse. »
Récits ultimes
Ida, Parka, Maya. Une femme mûre, une très vieille femme et une jeune mère, la femme d’aujourd’hui, affrontent chacune à sa manière le monstre du Temps. Elles sont la grand-mère, l’arrière-grand-mère et la mère d’un même petit garçon, mais la famille s’efface dans l’instant de pure solitude qui les confronte à la mort. Trois récits composent ce beau roman, où le mythe des trois Parques trouve un écho subtil.
Après un accident de voiture, Ida marche dans la nuit jusqu’à la maison d’un vieux couple. Elle y passera plusieurs jours à tourner en rond, incapable de se ressaisir. Découvrant une grange qui sert de mouroir aux animaux malades, elle songe à sa propre fin, à cette mort entrevue qui reviendra la prendre. Sa mère, Paraskewia, dite Parka, est une Ukrainienne exilée en Pologne. Son mari vient de mourir, il neige, et leur maison est coupée du monde. Alors, sur le flanc de la montagne, elle trace avec ses pieds un message pour ceux d’en bas, en lettres immenses : PETRO EST MORT I Lorsqu’elle achève le point d’exclamation, elle a déroulé en pensée le film de sa vie. Enfin il y a Maya, la fille unique d’Ida, qui séjourne en Malaisie avec son garçon de onze ans. Elle est censée préparer une brochure touristique, mais son voyage ressemble davantage à une fuite, au contrecoup d’une blessure intime.
Trois façon d’être, de penser, de vivre pour un seul roman lucide, sensuel et captivant. Olga Tokarczuk nous offre des personnages d’une rare intensité, des portraits d’une finesse sublime et des introspections bouleversantes.
Les Livres de Jakób
Voilà mon ouvrage préféré d’Olga Tokarczuk ! Et celui que je ne terminerais probablement jamais. A peine l’ai-je reçu en librairie que je m’empressais de l’acquérir pour plonger dans cette histoire des plus particulières. Le portrait de Jacob Joseph Frank , hérétique, schismatique, Juif converti à l’islam puis au christianisme, libertin, hors-la-loi, magicien, tour à tour misérable et richissime. Jakób Frank a traversé l’Europe des Lumières comme la mèche allumée d’un baril de poudre. De là à se prendre pour le Messie, il n’y avait qu’un pas et il le franchit allègrement. Le dessein de cet homme était pourtant très simple : il voulait que ceux de son peuple puissent, eux aussi, connaître la sécurité et le respect de tous.
La vie de ce personnage historique est tellement stupéfiante qu’elle semble imaginaire. On y retrouve les tragédies du temps, mais on y goûte aussi les merveilles de la vie quotidienne : les marchés, les petits métiers, les routes incertaines et les champs où l’on peine, l’étude des mystères et des textes sacrés, les histoires qu’on raconte aux petits enfants, les mariages où l’on danse, les rires et les premiers baisers.
Les Livres de Jakób est un roman historique, une œuvre colossale, un pavé fascinant, une folie littéraire, un bijou ésotérique !
Il faut s’immerger complètement dans le génie d’écriture d’Olga et dans la vie de ce personnage hors-norme dont elle dresse un portrait sans concession, à la fois fascinant et ultra documenté.
Un critique polonais dit qu’il a fallu à Olga Tokarczuk une « folie méthodique » pour l’écrire. C’était en septembre 2018 que je plongeais dans cette aventure, à l’heure où je vous écrit, je n’ai toujours pas terminé mon voyage et Terre Frankiste tant cet univers est riche et fou !
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