Pendant quatre ans, le journaliste Mathieu Palain s’est rendu dans des groupes de parole, dans une Maison des femmes, à des auditions judiciaires. Il a eu accès à des histoires et des témoignages d’une rare puissance. Nos pères, nos frères, nos amis est une enquête immersive, un livre essentiel pour comprendre un point aveugle de notre société.
« Qu’est ce qui fait naître la violence dans un couple ? »
Novembre 2019, Mathieu Palain et Cécile Laffon diffusent sur France Culture, un podcast intitulé « Des Hommes Violents ». Une série de 6 épisodes d’écoute de 25 à 30 minutes, nourris des propres interrogations du narrateur Mathieu Palain et mise en perspective par trois récits de victimes. Il permet notamment d’aborder la complexité de ce type de violences, et du fait de la multiplicité des profils, d’aller à l’encontre de certains stéréotypes en remettant des humains derrière les agresseurs.
Construit en 5 parties, cet ouvrage est une investigation plus approfondie du travail que Mathieu Palain a fourni avec son Podcast.
« Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, c’est nos amis, c’est nos pères. Et on n’est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer. Mais il faut passer par un moment où ils se regardent. Une femme sur cinq – et je suis gentille, car c’est beaucoup plus que cela – est confrontée à la violence des hommes. Donc on peut quand même questionner ce que c’est que la virilité, aujourd’hui. – Adèle Haenel »
Dans la première partie, l’auteur collabore avec un groupe de parole pour les violents conjugaux. Des mecs condamnés pour avoir frappé leur femme, et qui se retrouvent deux heures le vendredi pour discuter. On y retrouve des jeunes de 20 ans qui prône le « C’est à cause d’elle », d’autres qui prêchent que la femme doit être soumise à l’homme et des mecs qui assument leur part d’ombre et qui regrettent.
On y découvre aussi le cycle de la violence conjugale. Dans la première phase, un climat de tension s’instaure, l’homme se met en colère, multiplie les reproches envers sa compagne, puis, en phase deux il passe à l’acte et violente sa victime, qui est traumatisée, humiliée, désemparée. Dans la troisième phase, il lui reproche ce qui vient d’arriver. « Tu m’as poussé à bout », « C’est de ta faute, tu vois que je m’énerve et tu continues… », puis dans la quatrième phase, il s’en veut, présente ses excuses, se dévalorise – « Je ne te mérite pas » -, offre des cadeaux et menace, parfois de se suicider.
« Le truc avec la violence conjugale, c’est qu’on ne se sent pas concerné. Notre fascination pour la mort nous pousse à compter celles qui ne peuvent plus témoigner – 146 femmes assassinées en 2019, 102 en 2020, 113 en 2021 – mais si on s’intéresse aux chiffres, il existe une autre statistique : 220 000 femmes déclarent chaque année subir des violences conjugales*. Prenons l’info dans l’autre sens et on se retrouve avec 220 000 mecs violents. Ça fait du monde. »
Mais qu’en est-il des victimes ?
Ne croyez pas que l’auteur fait une ola aux violents en leur trouvant toutes les excuses du monde. Tout au long de l’ouvrage, Mathieu Palain se questionne jusqu’à se demander si lui aussi pourrait un jour sombrer dans cette férocité.
On parle de Cécile, Lucile, Faïza, Bintou ou Seynabou. Certaines ont été mariées de force, violées ou pour les plus chanceuses –que– des côtes cassées. Mais elles ont toutes cette chose en commun : la violence.
« – Pourquoi ne pas l’avoir lâché ?
– Parce que je l’avais choisi, lui. C’était mon problème, pas celui des autres. Je refusais de m’avouer que je m’étais mise de mon plein gré dans une situation pourrie. Je voulais me prouver que ça pouvait marcher. »
J’ai pleuré en lisant ce passage, parce que c’est exactement le même discours, presque mot pour mot, que je tenais quand ça m’est arrivé. J’avais peur et je ne me sentais pas légitime quand j’ai dû raconter mon histoire à l’assistante social de L’Aide à la Victime lors de mon rendez-vous. « C’était -qu’une- gifle » je lui avais dit, « Oui mais ça a quand même explosé ses points de sutures, ça devait être une violente gifle quand même. » Oui… Quand même. Cette fois-là, je n’ai pas eu peur, ni pour les coups, ni pour ma vie. C’est plus tard. Dans le silence de la nuit noire, allongée à côté de lui, que cette peur primale se réveillait.
« La violence est un signe de faiblesse. Vous l’avez utilisé pour reprendre le pouvoir. Parce que vous vous sentiez, à ce moment-là, en situation d’infériorité. »
Alors parlez ! Que vous soyez un homme ou une femme, la violence est une maladie qui peut s’immiscer dans n’importe quel foyer et à n’importe quel moment.
Si vous en ressentez le besoin, le site internet www.aide-aux-victimes.ch est là pour vous. Des professionnels vous conseilleront gratuitement, de manière confidentielle et anonyme dans toute la Suisse.
Personne n’a le droit de porter atteinte à votre intégrité.
Absolument personne !
Jamais !
Prenez soin de vous.
Avec tout mon amour.
Sabrina.
« Avant, l’Etat considérait qu’il était compétent pour trancher des querelles de voisinage, mais l’intime, ça restait dans les familles. La justice ne s’en occupait pas. Maintenant, grâce aux associations féministes qui ont fait du foin, on vient voir ce qu’il se passe dans les maisons. »
*Les chiffres annoncés dans ce paragraphe sont les notes de l’auteur et qui concernent la France. Selon l’Office Fédéral des Statistique en Suisse, une personne meurt toutes les deux semaines des conséquences de la violence domestique : 25 personnes par an en moyenne, dont 4 enfants (2009-2021) En outre, on enregistre une tentative d’homicide chaque semaine. (50 personnes par an en moyenne) Sur la période allant de 2009 à 2021, 686 femmes, 306 hommes et 124 enfants ont été victimes d’homicides ou tentatives d’homicide.
329 homicides ont été commis entre 2009 et 2018. 74,8 % des victimes sont des femmes et filles et 25,2 % des hommes et garçons.
(source : https://www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home/themes/violence-domestique/statistique.html)
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