Michel Serres est décédé et c’est un hommage coloré qu’il nous faut adresser à ce grand philosophe.
Philosophe? Voilà qui peut vous refroidir, amis lecteurs. L’on s’imagine des livres épais et pompeux, thèses moralistes aux savoirs suffisants, plein de préceptes solennels avec des phrases aussi longues que celle que je suis en train de rédiger. Et bien l’on aura tort !
Parce que la philosophie c’est « l’amour de la sagesse » et Michel Serres était empli des deux.
Les nombreux hommages qui fleurissent déjà sur la toile ne vous laisseront pas passer à côté de Petite Poucette. Et ils ont bien raison, parce que même si l’œuvre de Michel Serres ne peut se résumer à cet ouvrage, c’est un chef-d’œuvre. Un petit bijou de réflexion sur notre société numérique et ce pouce que l’on pousse à gauche à droite, de tous les côtés de nos écrans.
La Société a déjà vécu deux révolutions : Le passage de l’oral à l’écrit et celui de l’écrit à l’imprimer. Une troisième révolution est en marche, celle du numérique. Le philosophe souligne que ces révolutions ont toujours lieu en temps de crise, mais que la crise n’a rien de catastrophique au contraire. Elle permet les métamorphoses. C’est à nous de réinventer les codes du vivre ensemble pour accompagner cette mutation. Savoir regarder en avant, plus loin, se garder du passéisme et surtout faire confiance à la Société.
Petite Poucette pointait son nez en 2012. En 2017, l’héroïne de Michel revient dans « C’était mieux avant ». Ce petit bouquin n’est pas un essai philosophique à proprement parler, mais plutôt un manifeste. Un coup de sang qui ébranle notre philosophe fatigué et même énervé par tous les Grands-Papas Ronchons qui oublient l’espoir et ne cessent de regarder en arrière.
C’était mieux avant. Comme ça tombe bien, Michel Serres y était, avant.
L’optimisme est présent à chaque page, avec quelques pointes d’un cynisme délicieux. Encore une fois, la Société est capable de belles choses à la seule condition qu’on agisse ensemble et en confiance.
Je vous ai présenté deux « immanquables » de Michel Serres, j’aimerais à présent vous parler d’un coup de cœur : De l’impertinence, aujourd’hui.
Nous avons tendance à poser un regard péjoratif sur l’impertinence alors qu’elle est une valeur essentielle à notre monde. Être impertinent n’est pas être insolent, c’est oser penser selon soi, s’interroger sur le prêt-à-penser, être critique.
La bêtise, le scandale, les poissons d’avril, la caricature, les impôts : l’auteur nous invite à faire un pas de côté et à regarder autrement les « petits riens » qui font nos quotidiens.
Un ouvrage qui rappelle que la philosophie est amusante, pédagogique et terriblement stimulante !
Après la confiance en l’avenir et l’impertinence, partons pour le Bonheur.
C’est un dialogue entre Michel Serres et Michel Polacco qui nous emporte sur cette grande question : qu’est-ce que le Bonheur?
Dynamiques, bienveillantes et sereines, ces réflexions sont de vraies friandises. Elles nous incitent à revenir à l’essentiel, à réaliser combien le bonheur ne fait pas vendre mais qu’il est là au quotidien et qu’il suffit de suspendre le temps pour s’en apercevoir et y goûter, pleinement.
On peut penser, à travers le prisme que je viens de vous offrir, que Michel Serres est un indécrottable optimise. Ma foi c’est vrai. Mais il est aussi et avant tout un penseur, un analyste, un sage.
Dans Le mal propre, l’auteur nous livre une analyse acerbe et pertinente sur notre possession du monde. Le propre, notre propriété, le devient quand nous salissons. Comme les animaux qui pissent pour marquer le territoire, nous nous approprions le sale. Il devient nôtre et cette évidence peut expliquer à elle seule pourquoi nous polluons notre monde. De la pollution dure ; les déchets, la crasse, les usines et autres joyeusetés à la pollution douce ; la publicité, la sur-communication, le bruit constant de nos vies, nous salissons sans cesse pour nous approprier l’espace collectif.
Dans ce monde cartographié, limité de toute part, acquis qui donnent des droits aux uns pour en priver les autres, Michel Serres rappelle une chose : ce monde n’appartient à personne, nous en sommes juste locataire.
J’ai découvert Monsieur Michel par l’intermédiaire d’un autre philosophe : Monsieur Rafik, mon responsable libraire. Nous étions tout deux occupés à revoir le rayon philo, s’interrogeant sur les grands auteurs incontournables, les classiques à avoir et les essais plus intimistes qui peuvent titiller la curiosité de nos clients quand Rafik est tombé sur quelques livres de Michel Serres. « Lui, Céline tu dois le lire, le relire et le relire, encore ! » Rafik est quelqu’un de partage, il aime transmettre et donner ce qu’il connaît. Généreux en temps et en savoir, il est de ces gens qui n’imposent jamais leur vision du monde mais distillent avec sagesse leurs pensées. Il n’en fallait pas plus pour titiller ma curiosité. Il n’en fallait pas plus non plus à Rafik pour que, le soir même, il me tende un petit paquet cadeaux ; un ouvrage de Michel Serres. J’ai découvert le penseur avec délectation et me suis empressée d’embrasser le reste de son œuvre !
Il y a encore tant d’ouvrages à découvrir de ce grand Monsieur. Je ne peux que vous inviter à vous y perdre, à le laisser vous envahir et à encore et toujours regarder vers l’avant.
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