Sylvia Plath, la puissante mélancolie de la poésie
Ma lecture du dernier Maggie O’Farrell I am I am I am dont le titre est inspiré d’un poème de Sylvia Plath m’a replongé dans les écrits de cette autrice et m’a donné envie de partager ces émotions avec vous.
Sylvia Plath fait partie de ces artistes qui fascinent. Parce que leur destin est parfumé de tragique et qu’ils ont quelque chose d’incandescent.
Une vie dévorante, déchirée, à la mélancolie romantique.
Sylvia n’aura vécu que trente et une année de sa vie, qu’elle écourtera volontairement dans un terrible suicide au gaz.
On a tout dit sur la poétesse, récupéré ses révoltes et ses détresses pour l’ériger en icône féministe, rattachée à un homme sans l’appréhender elle dans son entièreté. On l’a souvent réduite à sa dépression dont elle puisait sa créativité et son lyrisme.
Pourtant pour aborder l’autrice, il y a deux choses primordiales à retenir : sa rencontre avec Ted Hughes, poète et écrivain incontournable de la culture anglaise et son état dépressif.
Parce que Sylvia n’a jamais distancié sa vie privée de ses écrits et que Ted Hughes a été un des piliers de la poétesse. Non pas parce qu’elle s’en remettait à cet homme mais parce qu’elle l’aimait passionnément, sans concession avec toute la douleur et les tourments que créer cet amour-là.
Parce que ses troubles dépressifs ont été un terreau fertile pour coucher sur le papier ses sentiments, à vif, comme si elle écrivait avec son sang.
Elle fascine d’autant plus qu’après sa mort, son entourage dépense une énergie folle à taillader dans ses écrits. Tentative de garder un contrôle sur l’image d’une famille ou sur la renommée de son époux. L’injustice, les révoltes et les détresses de Sylvia deviennent celle du public, indigné à son tour par le comportement de ses proches.
On a tout dit d’elle et rien que pour cela je pense qu’il faut aborder l’artiste prudemment. Laisser ses écrits nous toucher sans se soucier des raisons pour lesquelles elle les a rédigés.
Les mots de Sylvia Plath sont toujours bouleversants, peut-être nous suffit-il de les recevoir
Les Éditions de La Table Ronde viennent de rééditer une des œuvres de Sylvia Mary Ventura et le neuvième royaume, une toute petite nouvelle d’à peine cinquante pages.
D’un voyage en train, Sylvia se sert du rythme particulier de ce cheminement pour nous confronter à la Destinée: à ces routes toutes tracées que l’on prend sans réfléchir, passif, résigné. Tout au long de ce trajet quelques indices nous alarment, des couleurs trop vives, des gens trop conciliants, la mélodie des roues du train qui semblent murmurer « Ta faute, ta faute, ta faute » Ce voyage est inexorable et l’autrice vous renvoie a cette question : Voulons-nous subir la vie ou en devenir le maître ?
Si Sylvia a qualifié sa nouvelle de vague conte symbolique, je la décris comme un lumineux conte symbolique. Sans aucune morale de fin, elle vous livre une fable puissante qui semble si légère au premier abord et s’intensifie, vous laissant hors d’haleine et subjugué par sa plume.
Mary est l’enfant en nous, celui qui grandit et perd son innocence. Celui qui doit faire des choix pour devenir l’adulte qu’il souhaite être. Celui qui prend conscience des règles de la société, de ses codes et de ses chaînes. Cet adulte en devenir veut-il s’adapter au confort rassurant de ce train ou préfère-t-il en descendre pour affronter l’inconnu et l’ivresse qu’il propose ?
« Il n’y a pas de voyage de retour sur cette ligne, dit la femme avec douceur. On ne revient pas en arrière une fois qu’on est neuvième royaume. C’est le royaume de la négation, de la volonté pétrifiée. »
Sylvia Plath a à peine vingt ans quand elle écrit Mary Ventura. Le recueil de poème Ariel vous donne rendez-vous avec la femme qu’elle est devenue. Complexe, intense, vive et déchirée.
Les textes sont anatomiques, ils viennent des reins, sont faits de chair et parlent à votre échine. Les mots semblent humbles pourtant ils font mal, ils écorchent et vous exaltent. Le rythme est haletant, parfois pressé, comme si la plume de Sylvia voulait gagner une course contre le temps. Peur d’un silence, peur d’un vide, d’une absence. Le malheur est souvent présent mais toujours magnifié. La luminosité de tout petit détail est, elle, vive et éblouissante. Les textes de Sylvia sont tout en contraste et provoquent des bouleversements en vous. Ils vous permettent d’être sombres, parfois fous et souvent passionnés. Ils ouvrent une porte sur votre intérieur et les choses qu’on y cache : chacun y trouvera ses secrets, chacun pleurera sur ses rêves.
En lisant les vers de Sylvia Plath, j’ai trouvé de la faim. Celle qu’on ne peut jamais rassasier, celle qui tiraille constamment et vous pousse à avancer, à construire, à créer encore et encore et parfois à hurler devant tant d’effort.
» Si le sang jaillit, c’est la poésie Rien ne peut l’arrêter »
« Je n’ai, de toute façon, aucun désir de cadeau cette année. Après tout je ne suis jamais en vie que par accident. »
« Je survis pour un temps,
J’organise ma matinée.
Voilà mes doigts, voilà mon enfant.
Les nuages sont pâles comme une robe de mariée. »
« Je suis habitée par un cri.
Chaque nuit il sort, les ailes battantes,
A la recherche, avec ses crochets, de quelque chose à aimer.
Je suis terrifiée par cette chose noire qui dort en moi »
Je ne peux pas vous parler de Sylvia Plath sans vous parler de La cloche de détresse. Un des livres les plus bouleversants que j’ai lu. Un des livres les plus bouleversants qui n’ait jamais été écrit.
Ce sera son seul et unique roman et il semble que l’autrice ait tout donné d’elle dans ces pages. Une œuvre comme un absolu.
Si je vous conseillais plus haut de vous détacher de la vie personnelle de Sylvia pour aborder ses textes, ici nous sommes forcés de prendre en compte que Sylvia se suicidera un mois après la publication de La cloche de détresse. Forcés pour saisir l’épreuve qu’a été sa rédaction. Œuvre autobiographique, il est le compte rendu d’une mort annoncée.
Esther Greenwood, l’héroïne, est une demoiselle brillante, déterminée et sa jeunesse la pousse à profiter de la vie. Elle veut s’amuser, écrire, découvrir. Mais très vite elle ressent que quelque chose ne va pas, en elle. Esther a une « Cloche de verre » une prison mentale qui l’enferme en elle-même mais aussi, loin des autres. L’héroïne est d’une lucidité hallucinante, tant sur ses démons et ses désirs que sur la cruauté de la vie. Elle est parfaitement apte à évoluer en société, sait créer des liens bienveillants avec les filles de sa classe et maîtrise les rouages de la séduction. Sauf qu’elle rechercher à la fois tous ces liens et le rejette. Tour à tour fascinée par les gens, ils la dégoûtent ou l’indiffèrent. On accompagne Esther dans ses ambiguïtés et souvent elle nous enferme avec elle sous sa Cloche.
C’est un livre exigeant, déroutant et douloureux. Mais c’est aussi un livre si puissant qu’on ne parvient pas à se détacher du désespoir absolu qui règne et parfaite harmonie avec les exaltations de l’autrice.
La plume de Sylvia est éblouissante, torturée certes, mais elle vibre à chaque mot.
Certains passages sont si détachés alors que ce qu’elle vit est d’une violence extrême. On passe du chaud au froid quand elle conte le parcours médical d’Esther. C’est dans ces chapitres qu’il m’a semblé toucher du doigt l’essence même de la dépression. Un sentiment pernicieux, sourd, qui agit dans l’ombre. Il ne se nomme pas, jamais, et Sylvia distille cette émotion de façon si subtile que tout en devient anodin alors qu’on est en présence du stade le plus radical de la maladie.
« Qu’y avait-il de se différent entre nous, les femmes de « Belsize » et les filles qui jouaient au bridge, bavardaient et étudiaient dans ce collège où j’allais retourner ? Ces filles aussi étaient assises sous leur propre cloche de verre. »
La lucidité de Sylvia ne la sauvera pas, au contraire. Elle l’emporte encore plus loin dans la détresse, sans forcément de rage ou de chagrin. C’est peut-être cette clairvoyance qui va la condamner.
Lire La Cloche de détresse est une épreuve. Je pense même qu’elle nécessite plusieurs lectures. Pour parcourir un simple roman, pour appréhender la maladie, pour embrasser toute la complexité féminine, pour saisir la force du devoir sociétal ou pour ne garder qu’une seule chose ; la qualité indéniable de la plume de Sylvia Plath.
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