Dans les arrivages de la rentrée littéraire d’Hiver 2022, mon regard bloque sur une couverture en particulier, et ce titre: Sauvagines Il chante à mes oreilles, comme une promesse de douceur, de voyage, d’émotions. Je le glisse dans ma pile et… l’oublie… Il se rappelle à mon bon souvenir quand Dame ma mère me raconte sa dernière lecture captivante. Nous rions de cette connexion littéraire et elle me conseille vivement de commencer par Encabanée, premier roman de Gabrielle Filteau-Chiba.
Me voilà donc avec deux ouvrages à découvrir! Et quelle découverte!
De la promesse de douceur, de voyage, d’émotions, l’autrice m’en a assuré deux: expédition et sentiments. De la douceur, on ne peut pas à proprement parler de douceur dans ces romans, si ce n’est peut-être celle de la neige, celle de la fourrure d’un coyote, celle de quelques larmes…
Encabanée
Lassée de participer au cirque social qu’elle observe quotidiennement à Montréal, Anouk quitte son appartement pour une cabane rustique au Kamouraska, là où naissent les bélugas. Encabanée dans le plus rude des hivers, elle apprend à se détacher de son ancienne vie et renoue avec ses racines. La vie en autarcie à -40 ° est une aventure de tous les instants, un pari fou, un voyage intérieur aussi. Couper du bois, s’approvisionner en eau, dégager les chemins, les gestes du quotidien deviennent ceux de la survie. Débarrassée du superflu, accompagnée par quelques-uns de ses poètes essentiels et de sa marie-jeanne, elle se recentre, sur ses désirs, ses envies et apprivoise cahin-caha la terre des coyotes et les sublimes nuits glacées du Bas-Saint-Laurent.
« Il n’y avait pas de mots assez souples et multicolores. Les couleurs de cette nuit blanche ont réveillé en moi une palette d’espérance, bien plus que tous les amants du monde. L’hiver me sembla chaque jour plus doux, plus lumineux, plus riche en apprentissages ».
Sauvagine
Raphaëlle est garde-forestière. Elle vit seule avec Coyote, sa chienne, dans une cabane au cœur de la forêt du Kamouraska. Malgré le vent glacial, la solitude et la menace des animaux sauvages, elle n’ échangerait sa place pour rien au monde. Un matin, Coyote disparaît. Raphaëlle fouille chaque recoin de la forêt et finit par la retrouver prisonnière de pièges illégalement posés. Folle de rage, elle se lance sur la piste du braconnier. Jusqu’au jour où elle découvre des empreintes d’homme devant sa porte : de chasseuse, elle est devenue chassée.
Sur les terres de la Couronne du Haut-Kamouraska, là où plane le silence des coupes à blanc, des disparus, les braconniers dominent la chaîne alimentaire.
Mais dans leurs pattes, il y Raphaëlle, Lionel et Anouk, qui partagent le territoire des coyotes, ours, lynx et orignaux, qui veillent sur les eaux claires de la rivière aux Perles. Et qui ne se laisseront pas prendre en chasse sans montrer les dents.
« J’inspire les yeux fermés pour me remémorer le nid que j’ai dû quitter, ma roulotte où j’étais si bien, ma corde à linge au vent, l’odeur de rouille des feuilles d’érable, mon petit coin de paradis perdu. Puis me reviennent les traces de bottes et la boue sur mon tapis d’entrée. Et la peau du coyote que je n’aurais peut-être pas dû garder. »
Un triptyque dans le Bas-Saint-Laurent
Quel bon conseil de Dame ma Mère que de me faire commencer par Encabanée. Effectivement ce roman ouvre une trilogie Québecoise. Celle de Gabrielle Filteau Chiba qui a, elle-même, tout quitté de sa vie confortable pour la solitude des forêts canadiennes. Encabanée est le roman de son expérience.
Son alter-ego, Anouk, lui permet de nous conter son désir d’une vie plus douce, plus lente, plus essentielle, où lire et écrire en serait les principales occupations. Mais quand on choisit le Kamouraksa comme lieu de vie, il y a bon nombre de choses à faire avant d’ouvrir un livre. Sauf si l’on souhaite que ce soit sa dernière lecture. C’est avec humour et admiration, crainte et poésie qu’elle nous narre sa lutte contre le froid, le poids de la solitude qui pourtant l’émerveille, la peur qui étrangle parfois, les doutes qui collent à la peau et toujours, encore, l’éblouissement face à la Nature. Anouk occupe son corps en coupant du bois et son esprit en dressant des listes: «qualités requises pour survivre en forêt» «Mes trois souhaits au génie de la lampe» ou encore «méditation dans le noir silence sur ce qui t’a poussée à t’encabaner loin de tout». Elle nous partage ses lectures, ouvrages oubliés par d’anciens occupants dont les poésies de Gilles Vigneault me sont revenues en mémoires avec un réel plaisir.
Et surtout, Anouk se met à écrire. Pour survire. Parce qu’à -40 tu dois alimenter le feu toutes les heures. Parce qu’un feu qui meure ça veut dire que tu meures, parce que dormir ça veut dire mourir. Encabanée n’est pourtant pas un livre de survie, c’est un journal de bord profondément humain, tour à tour poétique et implacable. Des remises en question sur notre monde, sa démarche est déjà très claire à ce sujet, Anouk va devenir militante. Sa solitude est interrompue par l’arrivée d’un homme, éco-terroriste en fuite, autant dire en danger dans le froid canadien.
Tout s’accélère, tout intensifie et des réflexions déjà délicieuses sur le féminisme d’Anouk «Incarner la femme au foyer au sein d’une forêt glaciale demeure, pour moi, l’acte le plus féministe que je puisse commettre, car c’est suivre mon instinct de femelle et me dessiner dans la neige et l’encre les étapes de mon affranchissement.» on embrasse celles de ses revendications écologistes «La rage au cœur, je manie mon arme en maudissant tous ceux qui le méritent. J’aspire à la sagesse du bois de santal parfumant la hache qui l’abat. J’aimerai alors les leurrés par le système et pardonnerai aux capitaines de pétroliers. Nous sommes tous dans le même bateau, reste à voir qui sait nager en eaux libres. »
Dans Sauvagines,ce n’est pas l’histoire d’Anouk que l’on va suivre mais celle de Raphaëlle, bien que leur routes vont se croiser. Déjà, nos deux héroïnes se rencontrent à l’instar des carnets de bords d’Anouk, extrait d’Encabanée, qui sont confiés à Raphaëlle.
Du roman de Cabane du premier opus on passe à un ouvrage dense, palpitant et digne d’un polar. On est dans la forêt, on ressent chaque gelure, chaque degrés, chaque odeur et plus encore on vit chaque injustice, chaque rage, chaque colère et on partage la peur qui s’insinue lentement en nous jusqu’à couper notre souffle. Raphaëlle a pour mission de protéger la forêt, plus qu’une mission, c’est un sacerdoce pour elle. Ses convictions sont profondes et sincères «venger les coyotes, les lynx, les ours, les martres, les ratons, les visons, les renards, les rats musqués, les pécans; venger les femmes battues ou violées qui ont trop peur pour sortir au grand jour.» tant et si bien qu’elle dérange. Les trafiques et magouilles sont si bien installés que son engagement empêche le monde de tourner rond. Alors elle devient cible, alors elle devient proie. «Mon rôle est entre autres de protéger la forêt boréale des friands de fourrure qui trappent sans foi ni loi, non pas comme un ermite piégeant par légitime subsistance dans sa lointaine forêt, non pas comme les Premiers Peuples par transmission rituelle de savoirs millénaires, mais par appât du gain, au détriment de tout l’équilibre des écosystèmes. Même en dehors des heures de travail, c’est mon cheval de bataille, veiller sur la forêt.»
Gabrielle Filteau-Chiba prend de l’ampleur dans ce deuxième opus. Tout est plus profond et puissant. A sa plume poétique s’ajoute des convictions, un militantisme fort et précieux et une condamnation implacable sur les dérives de notre monde. Sauvagines est un roman viscérale et vital.
«Grâce à Coyote, je serai désormais armée d’un pif qui saura flairer ceux qui s’approchent trop près de la roulotte. Et si, en vieillissant, elle prend de la gueule, je pourrai la laisser descendre du camion avec moi quand je marche vers les pêcheurs aux glacières remplies à l’excès, les chasseurs qui cachent un nombre louche de pattes d’ongulés sous une bâche et les marcheurs du dimanche qui seraient tentés de profiter de la rencontre d’une femme seule au bout du monde pour soulager leurs appétits.
Parce que là où nous sommes, il n’y a personne qui m’entendra crier»
Il manque un ouvrage à cette trilogie: Bivouac. Il est déjà paru au Québec chez XYZ et nous attendons impatiemment sa parution chez Stock pour l’Europe.
« La lutte pour le territoire peut être belle. Riopelle y met tout son cœur, tout son art, contribue au Bivouac en plein bois comme à une dernière chance de sauver à la fois Gros Pin et une humanité en déroute. Pendant ce temps, à la Ferme Orléane, Anouk et Raph s’y attellent les deux mains dans la terre, portées par la possibilité d’une agriculture et d’un vivre-ensemble révolutionnaires… ainsi que la promesse de suffisamment de conserves pour retourner passer l’hiver au chaud dans leur tanière.
Mais là où certains voient une Nature alliée à protéger, d’autres voient une ressource à exploiter. Jusqu’à ce que le bois grince, que la terre craque.
Je divague. Un arbre me parle. Je pique vers lui, un hêtre de mon âge, pour flatter son écorce lisse. Toucher du bois. Mes bras sont raides comme des bâtons de ski. Je fais une prière tacite. Forêt, aide-moi.«
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