dum vivimus, vivamus (ris bedoume, la vie est belle).
Fondé en Suisse romande en 2011, Hélice Hélas Éditeur fabrique et publie des livres d’auteur et de la bande-dessinée indépendante. Hélice Hélas Éditeur est difficilement réfutable, comme la théorie des cordes. Il produit de la narration baroque, épique et punk et organise des événements en général imprévisibles, et donc imprévus.
Dans le milieu très secret des libraires, il y a des accointances (j’aime profondément ce mot, laissez-moi le placer) qui naissent avec certaines maisons d’éditions par le biais de lectures ou de rencontres. Si vous suivez un peu mes articles, vous avez certainement remarqué que j’ai la fâcheuse tendance à lire beaucoup de Gallmeister. J’avoue un possible manque d’objectivité quand ils proposent une nouvelle parution et me précipite immédiatement sur ces nouveaux romans. Je retrouve évidemment toute mon esprit critique au moment de mes lectures, soyez-en assuré ! (clin d’œil ouvertement appuyé)
Et bien il y a une autre maison d’éditions qui a mes faveurs et mon parti-pris.
Ce sont les Éditions Hélice Hélas, grande petite maison suisse.
Je les aime profondément, quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils publient. Je suis curieuse de tout ce qu’ils inventent et choisissent et me régale à chaque parution. Sortent de doux-dingues passionnés, les fondateurs s’amusent et tombent amoureux de chaque auteur qu’ils publient. Cela se sent, dans les livres-objets, dans les projets artistiques, dans les positions prises et dans la qualité indéniables de tous leurs méfaits.
Leur catalogue est précieux, particulier, poétique, pertinent, drôle, avec cette touche de magie que seul Noël (et eux) sait inventer dans les yeux des enfants.
Laissez-moi vous prendre la main et vous inviter à une balade délicate dans leur univers.
Je vous conseille de vous déchausser parce que c’est ainsi qu’on sent la douceur de l’herbe sous nos pieds, comme on ressent les enchantements d’Hélice Hélas.
Corps carbone : un roman graphique de David Brülhart
David Brülhart est un artiste suisse, spécialisé dans la gravure sur plexiglas que je découvrais au Manoir de Martigny et qui m’a touché par la puissance et à la fois la délicatesse de ses œuvres.
Dans Corps carbone on suit l’histoire d’amour silencieuse entre Victor, libraire, si timide, que sa bouche, à force de ne pas être utilisée, s’est effacée de son visage, et Manon, relieuse sauvage et terrienne, qui entretient des rapports troubles avec les livres qu’elle confectionne et qu’elle affectionne. Au fur et à mesure des visites de Manon à la librairie de Victor, ce dernier connaît de curieux changements vestimentaires mais aussi physiques…
les éditions Hélice Hélas sont séduites par l’histoire et les gravures de David et fabriquent un livre qui dans la forme sera en complète adéquation avec le fond. Ainsi, pour cette histoire de relieur, ce n’est pas moins de quatre papiers différents qui sont choisis pour faire le livre qui bénéficiera également d’une couverture précieuse, papier arche gaufré.
La Vie sauvage
Quand en 2016, ils signent un nouvel ouvrage avec l’artiste, je m’empresse d’ouvrir mon cadeau de Noël de septembre : La Vie sauvage, en collaboration avec Tony O’Neill (dont je vous recommande vivement la lecture du Bleu dans les veines)
Chet Delany, un boxeur au poing malencontreusement trop énergique, met définitivement hors de course Pretty Boy qui n’est autre que le neveu du mafioso local. Afin de fuir ses hommes de main, Chet n’a pas d’autres choix que de mettre de la distance et de prendre la route. Il rencontre Lottie, une serveuse en détresse, et étant tous deux sans issues, ils s’élancent dans un périple sans objectif. Plus ils traversent les autoroutes vides, les déserts et les villes-fantômes, rencontrent les habitants de ces marges et font l’introspection d’une Amérique kaléidoscopique en mal de ses mythes et de ses valeurs fondatrices, plus leur errance semble devenir absurde et désincarnée.
La Vie sauvage est un roman graphique qui se construit à la manière d’un film. Les illustrations défilent, accompagnent le récit afin de l’augmenter et de vous submerger.
Du pain pour les Usines François Burland
Il y a un autre artiste suisse que j’aime énormément, c’est François Burland. Artiste engagé (je ne suis pas certaine qu’il apprécie mon qualificatif) ses dessins me touchent au cœur ou au cerveau. Ses poyas sont une poésie délicate, ses gravures me font hurler de rire ou de rage et ses collages sont de pures bijoux d’impertinence ! Hélice Hélas doit bien partager quelques uns de mes avis puisqu’ils publient Du pain pour les usines, série de dessins où l’artiste s’empare de l’iconographie des propagandes de la guerre froide et les détourne pour vanter les mérites sur un mode consumériste et ironique de la Gruyère et du gruyère. Drôles, engagées, absurdement rhétoriques, les photographies de broderies (bien traditionnelles, elles) qui composent ce livre d’art incitent à une lutte idéologique renouvelée du côté de la dérision de l’auteur qui sait jouer avec tous les bords.
Singulier Pluriel Lucas Moreno
Le premier roman par lequel je découvre Helice Helas est Singulier Pluriel de Lucas Moreno. Je vous vois venir, ce n’est pas un roman, c’est un recueil de nouvelles, soit. Ces nouvelles sont sombres, puissantes et complexes. On ne sort pas indemne de la lecture de ses neufs aventures. Parce qu’elles vous emportent loin en vous, dans des réflexions à la beauté malsaines et pourtant séduisantes. J’ai adoré ressentir les écrits de Lucas Moreno, adoré être dérangée et à la fois fascinée. Et j’ai adoré découvrir la qualité d’écriture de cet auteur atypique.
Les Ecorcheresses Patrick Dujany
Vous voulez du roman ? Alors en voila, et quel roman !Un roman d’amour, d’aventures et de plein d’autres choses.
A travers une suite d’histoires qui se parlent, Patrick Dujany raconte le parcours d’un homme, écrivain sans écrire mais qui a beaucoup lu. L’ambition, avouée dès la première page, est de révolutionner la littérature du XXIe siècle.Ce n’est pas un livre sur l’écriture. Ni sur le fait d’écrire. L’auteur a trop à dire pour se contenter de cela. Il aborde le meilleur et le pire, l’amour et la haine, l’excès, en résumé. L’excès sous toutes ses formes. Le livre est sombre, ivre et défoncé. Il est constitué de chapitres fous, spirituels, philosophiques, poétiques. Parfois sociologiques, et toujours égocentriques, mais pas complètement autobiographiques. A la manière de San Antonio, Les Ecorcheresses est l’œuvre d’un narrateur-héros désinvolte, qui passe sans peine de l’argot à l’emphase, non sans humour.
Patrick Dujany, que l’on connaît sous le le nom de Duja pour ses émissions radio de Couleur 3 , RTS et sa musique au sein de MXD nous livre un OLNI où « tout n’est pas vrai, mais tout est sincère » Si vous cherchez une autobiographie ou des anecdotes croustillantes sur la vie de l’homme de radio, passez votre chemin. Comme l’auteur le dit lui même «C’est une réalité fantasmée, et peut-être que la véritable hallucination, c’est la réalité » l’important dans cet ouvrage c’est sa poésie, parce que Patrick est indéniablement un poète des mots. Les Ecorcheresses est un livre spontané, vivant, volontairement décousu qui fait du bien au paysage littéraire. Je terminerais sur les conseils de l’auteur à ceux qui n’aiment pas son personnage : achetez son livre ! Et pour ceux qui, comme moi, ont une tendresses à son égard : volez son livre !
Futurs Insolites Collectif
Continuons notre promenade en territoire SF avec Futurs insolites. Quatorze auteurs de science-fiction qui se demandent ce que sera la Suisse dans un avenir plus ou moins lointain. Quelle superbe vitrine pour les auteurs helvètes que ce recueil. Parce que de la science-fiction il s’en écrit beaucoup dans notre pays même si le grand publique n’en est pas forcement inquiété. Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs signe la postface et des auteurs confirmés comme Olivier Sillig, Anthony Vallat ou François Rouiller côtoient des jeunes plumes.
Sous couvert d’anticipation, c’est une plongée dans l’auto-réflexion nationale qu’Hélice Hélas nous propose dans cet ouvrage avec un critère de sélection qui n’est plus l’origine ou la résidence romande, mais qui devient thématique : la Suisse comme laboratoire d’imagination. L’anthologie a été ouverte à des auteur·e·s dont l’anticipation et la science-fiction n’est pas le style de prédilection ou ne représente qu’un pan de leur travail. Dans un futur plus ou moins lointain, qui peut dire ce qu’il restera de la Confédération helvétique ? Ce fier pays où un peuple hétéroclite, scindé en cantons divers et variés, mi-ville mi-campagne, multilingue, à la bureaucratie impeccable, à la technologie et au tourisme florissant, à l’armée de milice indéfectible, aux multinationales bien implantées, à la neutralité à toute épreuve, aux paysages subjuguant les touristes et les expatriés… Qui peut dire ce qu’il en restera ? En vérité, si un jour, une Confédération Intergalatique devait naître, ce serait assurément des consultants suisses qui seraient chargés d’en élaborer les plans.
Le cycle de Gérimont Bovon Stéphane
Je terminerais notre randonnée par cet énorme coup de cœur : Gérimont de Stéphane Bovon. Il y a des livres comme ça, qu’on a adoré mais dont on ne sait pas vanter les mérites. Parce qu’ils sont beaux, terriblement inventifs et complexes. Attention quand je dis complexe je ne parle pas d’un sombre manuscrit opaque et hermétique, il y en a des comme ça mais ce n’est pas le cas de Gérimont. Non, je veux dire que ce livre à tant de choses à vous apporter que seul l’auteur, ou un fier analyste littéraire, peut vous en parler. Comme j’ai peu de fierté, je me contente de vous affirmer que j’ai passé un merveilleux moment de lecture, plongée abyssale dans un univers extraordinaire emporté par une plume délirante et chatoyante. Je fais confiance à votre curiosité, me permet de vous présenter le coupable et de le laisse s’exprimer :
Stéphane Bovon est sûrement l’éditeur, écrivain, performeur, comptable, professeur d’anglais, dessinateur de bd, agent double au service de l’Internationale Popomoderne, métathéoricien de l’ellipse, le plus éclectique qui soit. Fondateur des éditions Castagniééé puis de Hélice Hélas, il mène depuis sa naissance un projet alchimique de réunion des grands esprits et de réinvention du monde. Après s’être échauffé et s’échauffer encore à divers projets, il lance actuellement le programme d’une saga dystopique en dix volumes (et plus si affinité), Le Cycle de Gérimont.
Projet au long cours, Gérimont se veut une esquisse, un palimpseste, une métonymie qui lance le Cycle de Gérimont, œuvre labyrinthique et asymptotique. Gérimont vit en paix entre les montagnes et la mer. Tout y est réglé par un système utopique et bienveillant. Le vernis se craquelle lorsque Sybukur Kohli, le typographe des Presses de Gérimont, est retrouvé assassiné. De Lachaude, la grande capitale babylonienne, le commissaire Rodal débarque et mène l’enquête. Il apprend à connaître les principaux acteurs de la société gérimontaise : Borim Estoppey, directeur du quotidien indépendant du pays, et son ennemi juré, le roi de Gérimont Louis Moray. Il y a aussi Shriptar Ruchet, auteur de bande dessinée, Epidam Regamey, le paysan chaman, et Shpuzake, la belle réceptionniste.
L’enquête révèle que certains ont des secrets, d’autres se transforment en arbres ou sont vus la nuit, couverts de sang, d’autres encore font des cérémonies inquiétantes au milieu de menhirs. Le commissaire Rodal parvient à résoudre l’affaire et réunit tout le monde pour dire qui sont les coupables. Puis il repart, avec le sentiment du devoir accompli. Entre-temps, Shpuzake disparaît et Shriptar est assassiné.
Dépêchez-vous, le tome 4 vient de paraitre!
Soyez curieux, fouillez, farfouillez dans les ouvrages particuliers d’Hélice Hélas. Laissez-vous surprendre et ne croyez pas tout ce que dit Internet: tous leurs livres sont disponibles et je me ferais un plaisir incommensurable de vous les commander (clin d’œil ouvertement appuyé bis)
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