Avez-vous comme moi, découvert la plume de Sofi Oksanen par son sublissime roman Purge ? Ou êtes vous entré dans son univers par la porte de cet autre bijou: les vaches de Staline ? Ne me dites pas que vous êtes complétement passé à côté de cette autrice exceptionnelle? Si c’est le cas il vous faut rectifier le tir et quoi de mieux que de vous plonger dans son tout nouveau roman Le parc à chiens
Née d’un père finlandais et d’une mère estonienne, Sofi Oksanen nous conte dans ses livres ces deux pays avec beaucoup de force, de justesse et de lucidité.
Si dans Les vaches de Staline, l’autrice nous emporte dans l’histoire de l’Estonie, c’est en passant par la Finlande et en traversant l’Histoire soviétique. Les « vaches de Staline », c’est ainsi que les Estoniens déportés en Sibérie désignèrent les maigres chèvres qu’ils trouvèrent là-bas, dans une sorte de pied de nez adressé à la propagande soviétique qui affirmait que ce régime produisait des vaches exceptionnelles. Le roman vous fait rencontrer deux femmes, une mère et sa fille, dans la Finlande de la fin du XXe siècle. Katariina, la mère, a tout tenté pour être acceptée de l’autre côté du « Mur »; faire oublier ses origines estoniennes et taire les traumatismes de l’ère soviétique. Anna, sa fille, souffre de troubles alimentaires profonds et ne pense qu’à contrôler l’image de son corps. À travers leur douleur et leurs obsessions, c’est le destin tragique de l’Estonie, le pays de sa mère, que l’autrice évoque. Sofi Oksanen décrit avec une grande puissance les obsessions de ces deux femmes : Anna ne pense qu’à contrôler l’image de son corps, tandis que sa mère raconte sa rencontre avec le « Finlandais », à Tallinn, dans les années 1970, avec une sorte de distance glaçante, comme si sous ce régime de surveillance, la peur s’infiltrait jusque dans les rapports de séduction.
Plongée en Estonie pour Purge, Prix Femina et Prix Fnac
En 1992, l’Union soviétique s’effondre et la population estonienne fête le départ des Russes. Mais la vieille Aliide, elle, redoute les pillages et vit terrée dans sa maison, au fin fond des campagnes. Ainsi, quand elle trouve la jeune Zara dans son jardin, une jeune femme meurtrie, en fuite, que des mafieux russes ont obligée à se prostituer à Berlin, elle hésite à lui ouvrir sa porte. Mais finalement ces deux femmes vont faire connaissance, et un lourd secret de famille se révélera, en lien avec le temps de l’occupation soviétique. Une amitié finit par naître entre elles. Aliide aussi a connu la violence et l’humiliation… Elle a en effet aimé un homme, Hans, un résistant. Quarante ans plus tard, c’est au tour de Zara de venir chercher protection, et la vieille dame va décider de la lui accorder jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix.
A travers ces destins croisés pleins de bruit et de fureur, c’est cinquante ans d’histoire de l’Estonie que fait défiler Sofi Oksanen.
Retour en Finlande avec Le Parc à chiens, plus précisément à Helsinki en 2016. Olenka, assise sur un banc dans un jardin public, observe un couple et leurs deux enfants en train de jouer avec leur chien. Une femme vient s’asseoir à ses côtés. Olenka sursaute : malgré les années, elle la reconnaîtrait entre mille. Après tout, Olenka n’a-t-elle pas ruiné la vie de cette femme, sa soi-disant amie ? Et cette dernière est sans doute ici pour lui rendre la pareille. Elle seule connaît la vérité sur ce qu’a fait Olenka, d’où elle vient et de qui elle se cache. Pourtant, pendant un court instant, les voici à nouveau réunies, spectatrices impuissantes de la vie qu’elles auraient pu avoir, si elles avaient fait d’autres choix. Faisant alterner son récit entre la Finlande contemporaine et l’Ukraine aux premiers jours de la transition post-Soviétique, l’autrice raconte avec une acuité rare la trajectoire de ces deux femmes incapables de se libérer du passé. Leurs histoires d’amitié, d’amour, d’ambition et de trahison, résonnent douloureusement dans ce monde où le corps des femmes est souvent réduit à une marchandise.
Sofi Oksanen fait partie de ses plumes que j’appelle « engagées » Ses mots racontent les maux avec une beauté rare et une puissance précieuse. On peut toucher du doigt l’intelligence de l’autrice, ses convictions et son besoin de justice. Ses personnages sont authentiques, profonds et leurs destins résonnent en vous à jamais.
Engagée contre le totalitarisme, protectrice des droits de l’homme, combattante féministe et défenseuse de la liberté d’expression, Sofi Oksanen est une femme à lire, à suivre et à soutenir.
Je vous glisse ici un dernier ouvrage: Une jupe trop courte. Récits de la cuisine qui est à l’origine un projet de Sofi Oksanen et Maija Kaunismaa. Un projet de soutien à la lutte contre les violences intrafamiliales en Finlande. Un spectacle musical représenté au Théâtre national de Finlande, et une tournée finlandaise des deux artistes en automne 2011. Dans ce petit recueil sont réuni les textes présentés. Des mots à la poésie noire, cruelle et pourtant empreints d’une luminosité exceptionnelle!
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