Il y a des petits livres comme ça, qui vous submergent et vous enveloppent complètement. Qu’on ne peut plus lâcher, qu’on voudrait absorber, apprendre par chœur et ne jamais oublier.
Se réjouir de la fin est de ceux-là.
« Je suis prêt, m’efface délicatement derrière l’éclat d’une dernière joie : celle de voir ma vie se terminer. Je m’en réjouis comme j’ai dû me réjouir de voir ma vie commencer. Je m’en réjouis comme une évidence absolue, et parce que je suis enfin conscient et certain, là, maintenant, de la joie inouïe qu’est la vie. » Tels sont les mots du résident d’une maison de retraite qui nous raconte son histoire et ses bonheurs d’homme au crépuscule de sa vie. Hédoniste et mélancolique, il contemple les beautés et les douceurs qui l’entourent. Un roman qui porte une voix rare, d’une grande délicatesse, Une tendre méditation sur la vie, le temps et la nature.
Adrien Gygax s’est glissé dans la peau d’un vieux et surtout dans son âme. Il nous livre un journal de bord en maison de retraite, comme un manuel de philosophie. Rédigé d’avril à décembre 2019, date de sa mort, le vieux couche sur le papier de souvenirs aux goûts de confiture et de tartes aux pommes. Pour moi ils ont ses arômes là, pour vous, peut-être tout autre chose.
Ils ont le goût des choses qui rassurent, qu’on garde au fond de soi comme une île où se réfugier.
Ils ont le goût des incertitudes, celles qui donne une place à l’apaisement, aux sentiments intenses et à la sérénité.
Parce que la sagesse ne vient pas des choses vraies, d’accumulation de faits et d’évidences.
Non elle vient des choses qu’on sait, intimement, profondément, viscéralement et qu’on ose enfin écouter.
Se réjouir de la fin est un bijou d’émotions et de sagesses.
Lire le dernier Gygax en confinement, alors qu’on nous alerte, à raison, de faire attention à nos vieux à quelque chose de cocasse. Ces « troisième age » qu’on a tendance à taire, à mettre de côté, sauf pour leur vendre des monte-escaliers, des fauteuils massant et autres objets à prix d’or, sont au centre de l’actualité. S’il y a des choses de positives à retirer de cette crise Covid-19 c’est sûrement la première : nos vieux sont visibles et on les intègre enfin pleinement dans nos quotidiens. J’ai eu envie de les mettre à l’honneur en vous sélectionnant quelques romans dont ils sont les héros !
Le vieux qui lisait des romans d’amour
Lorsque les habitants d’El Idilio découvrent dans une pirogue le cadavre d’un homme blond assassiné, ils n’hésitent pas à accuser les Indiens de meurtre. Seul Antonio José Bolivar déchiffre dans l’étrange blessure la marque d’un félin. Après quarante années de liberté infinie dans la forêt amazonienne en compagnie de ses amis Shuars, le vieux sentant ses forces décliner s’est installé dans une cabane en bambou. Son besoin d’évasion est toujours intact et se concrétise maintenant par la lecture passionnée de romans à l’eau de rose: seule échappatoire à la barbarie des hommes. En se lançant à la poursuite du fauve, il nous entraîne dans un conte magique, un hymne aux hommes d’Amazonie dont la survie même est aujourd’hui menacée.
Au fur et à mesure des pages, on ne sait plus qui est l’ennemi de qui, entre la forêt, les autres hommes, les autres civilisations, le fauve qui rôde…
Ce solitaire sentimental, au mode de vie atypique, est un bel exemple d’humilité pour le genre humain dont la course aux profits met chaque jour un peu plus la planète en danger.
Une fable écologique et un hommage à la sagesse des anciens
Aphrodite et vieille dentelles
Tilda et Elida Svensson, 79 et 72 ans, célibataires, mènent une vie à la routine paisible. Elles font des confitures, vont à l’église et se couchent chaque soir exactement à la même heure. Pas de commodités à l’intérieur de leur maison vétuste : les toilettes sont au fond du jardin, l’eau est à tirer au puits. Tout change à l’arrivée d’un nouveau voisin, ou plutôt de son chat : le félin est pris de frénésie sexuelle en mangeant une des plantes d’Alvar. Et si elles tenaient avec ce produit l’occasion de s’offrir enfin des W.C. dignes de ce nom ? Ni une ni deux, les deux dames montent un business clandestin d’élixir aphrodisiaque.
Le portrait hilarant et délicieux de Tilda et Elida, deux vieilles bonnes femmes attachantes, involontairement drôles. Grebiches du village, solitaires, particulières et souvent incomprises.
Une écriture vive et pertinente qui transforme le quotidien de ses deux frangines en aventures extraordinaire.
Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire
Franchement, qui a envie de fêter son centième anniversaire dans une maison de retraite en compagnie de vieux séniles, de l’adjoint au maire et de la presse locale ? Allan Karlsson, chaussé de ses plus belles charentaises, a donc décidé de prendre la tangente. Et, une chose en entraînant une autre, notre fringant centenaire se retrouve à trimballer une valise contenant 50 millions de couronnes dérobée presque par inadvertance à un membre de gang. S’engage une cavale arthritique à travers la Suède et l’Histoire du XXème siècle ! Tordant et jubilatoire, le détachement et le cynisme de notre aïeul permettent un regard décalé sur les grands événements de l’Histoire !
Ne pas hésiter à voir la très bonne adaptation de Felix Herngren
Les délices de Tokyo
« Écouter la voix des haricots » : tel est le secret de Tokue, une vieille dame aux doigts mystérieusement déformés, pour réussir le an, la pâte de haricots rouges qui accompagne les dorayaki, des pâtisseries japonaises. Sentarô, qui a accepté d’embaucher Tokue dans son échoppe, voit sa clientèle doubler du jour au lendemain, conquise par ses talents de pâtissière. Mais la vieille dame cache un secret moins avouable et disparaît comme elle était apparue, laissant Sentarô interpréter à sa façon la leçon qu’elle lui a fait partager.
L’histoire d’une rencontre insolite entre deux êtres, qui se ressemblent bien plus qu’ils ne le soupçonnent, malgré la différence de génération et les secrets enfouis. Un récit touchant et poétique, d’une sensualité palpable et émouvante, autour de l’amour de la cuisine, la souffrance des corps et des cœurs, la honte, la solitude, la résilience.
Adapté au cinéma par Naomi Kawase
La touche étoile
Ni Dieu ni Diable, Moïra, dans la mythologie grecque, représente la destinée. Elle s’attache à faire advenir l’improbable chez ses protégés en brouillant les cartes quand elle les juge mal distribuées. Ainsi Marion, qui s’est mariée en espérant former un couple moderne, découvrira qu’on souffre comme au temps de Racine même si on a signé le contrat de Sartre et Beauvoir. Mais Moïra lui fera vivre, en marge, une liaison passionnée avec un Irlandais un peu fou, un peu poète. Sa mère Alice, quatre-vingts ans, journaliste féministe de choc, s’est juré de ne pas se laisser déborder par la vieillesse. Un défi osé que Moïra l’aidera à relever avec panache.
Un livre qui mélange quatre génération au travers d’Alice une vieille dame avec enfant, petit-enfant, arrière-petit enfant et qui jette un regard bien désabusé sur la vie. Constat dépité et cynique mais également leçons impertinentes et joutes intellectuelles. Vieux cons, vieilles connes et jeunisme sont ici décrit avec la plume fabuleuse de Benoite Groult!
le K
Une petite nouvelle de Buzzati au milieu de la cinquantaine d’autres contenus dans ce recueil éponyme.
Le K raconte l’histoire d’un garçon, Stefano, poursuivi par un monstre marin aux allures de squale géant, appelé « le K ». Il le fuit toute sa vie en restant loin des côtes d’abord. Mais ensuite l’appel de la mer et du K se font ressentir et il devient un marin qui parcourt le monde sur son bateau, voyant le K comme une malédiction.
Alors qu’il est sur le point de mourir de vieillesse, il décide d’aller à la rencontre de son destin en affrontant le K ; ce dernier est aussi exténué que lui et lui transmet enfin le message qui lui était destiné : une perle merveilleuse » qui donne à celui qui la possède fortune, puissance, amour et paix de l’âme « . Cet homme a refusé son destin jusqu’au crépuscule de sa vie, refusant en fait la promesse de bonheur éternel qui lui était destinée…
La fuite du temps, les illusions et l’inconscience volontaire de la mort sont des thèmes chers à Buzzati qui sait les conter sans pathos et avec délicatesse.
Les chaussures italiennes – Les bottes suédoises
A soixante-six ans, Fredrik Welin vit reclus depuis une décennie sur une île de la Baltique avec pour seule compagnie un chat et un chien et pour seules visites celles du facteur de l’archipel. Depuis qu’une tragique erreur a brisé sa carrière de chirurgien, il s’est isolé des hommes. Pour se prouver qu’il est encore en vie, il creuse un trou dans la glace et s’y immerge chaque matin.
Au solstice d’hiver, cette routine est interrompue par l’intrusion d’Harriet, la femme qu’il a aimée et abandonnée quarante ans plus tôt. Fredrik ne le sait pas encore, mais sa vie vient juste de recommencer. Le temps de deux solstices d’hiver et d’un superbe solstice d’été, dans un espace compris entre une maison, une île, une forêt, une caravane.
Les bottes suédoises est l’occasion de retrouver Fredrik Welin, toujours sur son île mais encore un peu plus vieux. Une nuit, une lumière aveuglante le tire du sommeil. Au matin, la maison héritée de ses grands-parents n’est plus qu’une ruine fumante. Réfugié dans la vieille caravane de son jardin, il s’interroge : il a septante ans et plus grand-chose à quoi se raccrocher : une vieille caravane, un petit bateau et une seule botte suédoise en caoutchouc. L’hiver de la Baltique lui en offrira deux : sa fille, porteuse d’un secret, et une belle et énigmatique journaliste qui ranime sa soif d’amour…
Mankell, célèbre pour ses polars de Wallander nous révèle une facette peu connue de son talent avec ce récit sobre, intime, vibrant, sur les hommes et les femmes, la solitude et la peur, l’amour et la rédemption.
La vieille qui conduisait des motos
Anne-France est la première femme à avoir fait le tour du monde à moto, au début des années 1970. Elle vous raconte son périple dans Et j’ai suivi le vent. Ici elle vous raconte un autre voyage : celui de son 60ème anniversaire. Dix ans qu’elle n’était pas remonté sur une moto, notre biker de choc cède de nouveau à l’appel de la route, enfourche une BMW800 et part faire un tour de France de l’amitié pour fêter son anniversaire avec les gens qu’elle aime. Son road trip se révèle autant un récit de voyage qu’une méditation tonique sur la vie et une exaltation des sensations à moto. « le bonheur est dans l’errance », comme elle aime à dire.
Le portrait d’une mémé flingueuse ayant décidé que la vieillesse serait joyeuse et son corps, « moelleux ». Toujours nature, habitée par le seul plaisir de vivre, elle manifeste à chaque page une liberté et une ouverture sur le monde qui remettent à leur place nos horizons actuels, parfois si étriqués…
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