Jojo n’a que treize ans mais c’est déjà l’homme de la maison. Son grand-père lui a tout appris : nourrir les animaux de la ferme, s’occuper de sa grand-mère malade, écouter les histoires, veiller sur sa petite soeur Kayla. De son autre famille, Jojo ne sait pas grand-chose. Ces blancs n’ont jamais accepté que leur fils fasse des enfants à une noire. Quant à son père, Michael, Jojo le connaît peu, d’autant qu’il purge une peine au pénitencier d’Etat. Et puis il y a Leonie, sa mère. Qui n’avait que dix-sept ans quand elle est tombée enceinte de lui. Qui aimerait être une meilleure mère mais qui cherche l’apaisement dans le crack, peut-être pour retrouver son frère, tué alors qu’il n’était qu’adolescent. Leonie qui vient d’apprendre que Michael va sortir de prison et qui décide d’embarquer les enfants en voiture pour un voyage plein de dangers, de fantômes mais aussi de promesses…
Un roman choral puissant qui dépeint le Sud des États-Unis dans un subtil mélange de délicatesse et de cruauté.
Parce qu’en 2019, être Noir sur les bords du Mississippi est toujours très compliqué et Jasmin Ward n’a pas besoin d’en rajouter pour souligner cette réalité. On sent la menace constante qui pèse sur chaque personnage, le clivage et les fantômes du passé.
Des fantômes, il y en a plein dans ce superbe roman. Qu’ils soient historiques, philosophiques ou spectraux, ils vous guident, tantôt glaçants, tantôt réconfortants.
Jesmyn Ward opte pour un rythme lent qui surprend au début mais la puissance de ces mots vous captent et le style scandé de son récit prend le dessus sur tout. A chaque page les émotions sont au rendez-vous.
L’autrice nous embarque dans un road trip à travers le Sud et sa mémoire, à travers l’amour et la mort, à travers les liens qui enchaînent et sauvent les humains. Passant de l’ombre à la lumière, les mots sont forts, envoûtants et poétiques. Ils vous surprennent et vous empêchent de détourner le regard.
Parce qu’on ne se voile pas la face quand la misère s’expose.
Et de la misère, Jojo et Kayla en connaissent un rayon. Enfants malmenés, délaissés et livrés à eux-mêmes mais pourtant aimés… Maladroitement, certes, mais les quelques tendresses qu’ils reçoivent sont émouvantes.
La vie de ces gosses est cruelle, la vie tout court l’est aussi, mais le roman de Jesmyn ne l’est pas et c’est là toute sa force. Pas de violence gratuite, pas de surenchère, elle conte une détresse avec lyrisme et affection.
Les personnages sont tous attachants, qu’ils soient bienveillants, perdus ou fragiles, je n’ai eu de cesse que de vouloir les aider, leur tendre une main et espérer à chaque page que tout irait bien, mieux, bientôt.
La symbolique des revenants est si belle, mélange de tradition, rituel de mort et liens profonds qu’on entretient avec nos fantômes.
Un roman magistral
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