Bûcheron philosophe
J’ai fait la connaissance de Lars Mytting par un livre très particulier.
Je me chauffe au bois depuis ma plus tendre enfance. C’est un rituel ancré en moi, une cérémonie magique qui au fond n’est qu’une belle façon de nous rappeler les gestes qui sauvent. J’ai lu dans Encabanée, cette phrase qui reste gravée en moi: « … à -40 tu dois alimenter le feu toutes les heures. Parce qu’un feu qui meure ça veut dire que tu meures, parce que dormir ça veut dire mourir. » Alors non, sous nos latitudes le risque de mort par le froid n’est pas omniprésent, mais quand on chauffe au bois, c’est une évidence que d’entretenir ton feu est vital. Chauffer au bois ce n’est pas seulement jeter des bûches dans une cheminée. C’est un travail énorme en amont, bien avant de brûler quoi que se soit. C’est trouver du bois, l’acheminer, le couper et le fendre, l’entreposer, le laisser sécher, le protéger, et même si de nos jours le capitalisme organise et facilite tout cela, ces étapes sont un passage obligé. Personnellement, j’adore ça. C’est contraignant, fatiguant voir épuisant (et je râle très souvent) mais il y a quelque chose d’authentique dans tous ces gestes, de sacré. Et comme je ne fais jamais rien à moitié, je me suis intéressée à tout ce rituel autour du bois. C’est là qu’entre en jeu le livre de Lars Mytting:
L’homme et le bois: fendre stocker et sécher le bois
Un ouvrage précieux, un peu fou, qui s’adresse à tout le monde même s’il faut admettre que le novice risque de prendre peur à sa lecture. Cet incroyable best-seller international et une mine d’informations sur les différentes essences, les méthodes pour couper, fendre et faire sécher son bois. Sans oublier les outils et les poêles, du plus rustique au plus contemporain. Le bois, matière noble et ancestrale, au cœur des questions écologiques et environnementales, nous rappelle qu’un autre mode de vie est possible : simple et auto-suffisant, en prise directe avec la nature. L’art de la pile de bois n’aura plus de secret pour vous, qu’elle soit simple et fonctionnelle ou digne d’une installation contemporaine ! Lars Mytting, bûcheron zélé à la plume superbe, nous offre une belle leçon de vie depuis ses forêts les plus septentrionales d’Europe!
Légende et stavkirke
Après nous avoir fait rêver avec ses conseils de bûcheron, Lars s’est mis à écrire des romans. Mon tout premier conte norvégien de l’auteur fut Les Cloches jumelles. En réalité, son premier roman est Les seize arbres de la Somme, qui parle d’un magnifique cercueil réalisé par un ébéniste d’exception, mais je ne vais pas vous en parler puisque je ne l’ai pas (encore) lu. D’un cercueil en bois, Lars choisit ensuite de nous raconter les stavkirkes, des églises en bois debout, typiques de la Norvège. Dans le village de Butangen, tout au fond d’une vallée montagnarde, la femme du propriétaire de la grande ferme Hekne est morte en couches après avoir donné naissance à des sœurs siamoises. Les filles, soudées par la hanche, mais joyeuses et vives d’esprit, ont peu à peu manifesté un talent hors norme, celui de tisser à quatre mains des œuvres somptueuses et d’autant plus appréciées que, dit-on, les images et situations qu’elles ont mises en scène se sont avérées prémonitoires.
A leur mort prématurée, leur père a fait fondre tout le métal d’argent de sa ferme pour fabriquer deux cloches dont il a fait don à la magnifique église en bois debout du village. Depuis lors, leur chant mélancolique et singulier résonne dans la vallée pour annoncer le début de la messe ou, parfois, un danger imminent.
Plusieurs siècles se sont écoulés mais cette tradition perdure toujours quand deux jeunes hommes se présentent au village: un nouveau prêtre et un chercheur allemand en architecture. Si le second est venu étudier le joyau de la vallée que constitue l’église en bois debout, le premier est bien décidé à laisser une empreinte de modernité sur son passage. Les deux hommes auront une passion commune: Astrid Hekne, descendante des siamoises. Belle, forte, intelligente et imprévisible Astrid! Ils partagent aussi un projet; l’un veut remplacer l’église par un édifice moderne et confortable, l’autre en profitera pour importer le temple en Allemagne et ravir des passionnés d’arts anciens. Dans ce but il faudra retirer les cloches jumelles… Ces cloches qui protègent la population de la colère divine! Ces cloches qui semblent sonner toute seules. Ces cloches qui avertissent des dangers, ou peut-être qui les provoquent…
En parallèle de ce trio amoureux, on plonge dans l’histoire de la Norvège. On aborde l’arrivée du christianisme et la résistance païenne des Norses tenant à leur religion d’origine emplie de divinités et de légendes. Car en Norvège, on ne touche pas aux église médiévales sans danger! Ces cloches qui protègent la population de la colère divine!
Dans un sublime décor de glace, Lars Mytting parvient à son tour à tisser et croiser les fils délicats d’un conte nordique tout en finesse et d’un roman d’aventures qui s’étend sur plusieurs générations, où l’on suit la trajectoire du personnage principal, à combien romanesque : cette église en bois debout avec ses cloches jumelles, au centre de toutes les convoitises. Il nous offre un drame sublime, une héroïne exceptionnelle, des destins hors du commun, le tout peint dans des paysages somptueux et son écriture lente et dense vous submerge littéralement!
C’est à la fin de l’automne 2022, quand tout se pare de feu et que la nature se prépare lentement à l’hiver que les éditions Acte Sud nous dévoilent L’étoffe du temps, deuxième opus autour de la famille Hekne. Difficile de vous en parler sans vous gâcher le premier… Sachez que l’ombre d’Astrid plane sur chaque page, que les sœurs siamoises et leur art pour le tissage seront au rendez-vous, que la magie des légendes norvégiennes imprègnent chaque chapitre. Lars vous propose sa propre tapisserie en entrelaçant la petite et la grande Histoire et nous happe à nouveau dans un roman passionnant!
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