Des pages à l’écran, quand l’exercice est réussi!
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Je crois n’avoir jamais vu une aussi bonne adaptation… Vraiment ! Je me risque même à dire que la série dépasse le livre… (Hou comme c’est vilain!) Le livre de Margaret est déjà puissant, révoltant et d’une beauté rare. La série apporte une complexité et une foultitude de détails au récit qui sont, non seulement bienvenues, mais presque nécessaires pour achever le sentiment de révolte que Margaret avait déjà planté dans votre cœur.
A la lecture de la Servante écarlate c’est à votre cerveau de lire entre les lignes est de donner vie à nombre d’injustices savamment suggérées par l’autrice. Votre cerveau est un ami fidèle : quand c’est trop fort il s’y refuse. Avec la série il n’a pas le choix: le scénario vous emmène dans les plus sombres côtés de l’Homme, avec la même subtilité que Margaret, mais les images s’incrustent dans votre rétine, les paroles résonnent à votre âme et la propagande ne pourra jamais plus s’effacer…
Le roman
Revenons au livre de Margaret Atwood, qui fut ma première rencontre avec ce génie littéraire.
Nous sommes dans une théocratie, Gilead : la vie quotidienne, la pensée et la loi sont dictées par la Bible. L’on s’en remet à Dieu pour toutes décisions, sans se poser plus de question. Tout manquement est blasphème et sévèrement puni. Ne réfléchissez pas plus loin que lapidation, pendaison ou toute autre forme de mise à mort. « Crois ou crève » serait un très bon credo.
Les membres sont les fils de Jacob et Rachel et se servent des récits bibliques pour instaurer des castes. Castes dans lesquelles, n’en doutez pas, les élus ont la meilleures places. Comment cette secte à pu se mettre en place ? Imaginez notre monde actuel avec toutes ses libertés et ses contradictions. Imaginez toutes les luttes qu’il a fallu mener pour que les humains soient vraiment égaux et la fragilité qui entoure ces libertés. Écoutez ensuite les voix qui grondent et s’insurgent contre ces libertés parce « contraire à la nature humaine ». Et bien sur ce terreau tout autant fragile que fertile, il est facile de faire pousser la haine et le manichéisme. Facile de ne plus avoir à réfléchir, à se déresponsabiliser et déculpabiliser. Le monde dans lequel naît Gilead est proche du notre, si proche ; pollution, épuisement des ressources terrestres et individualisme exacerbé. C’est là que les fils de Jacob s’infiltrent dans les hautes sphères et, à coup d’attentats, de manipulations d’informations et de fake news (sic) parviennent à fonder leur république.
Le principale problème de ce monde est l’infertilité. Les femmes capables de donner naissance à des enfants en bonne santé sont rares et précieuses. Il est donc logique de les choyer et de le protéger ! Laissez-moi rire…. Il est bien plus facile de les asservir, d’exploiter leur ventre et de les soumettre ! L’époque où la Femme était considérée comme un être inférieur n’est pas si loin et le statut d’égal est sans cesse remis en question (je ne parle pas que du livre de Margaret là…)
La première liberté que l’on retire aux femmes est leur droit de travailler. En découle une deuxième privation : leur indépendance financière, d’où découle une troisième ; leur droit à l’indépendance. Retour au compte bancaire et autres autorisations avec signature du mari… Tu n’as pas de mari ? Ce sera le plus proche parent masculin qui aura plein pouvoir sur ta vie. Délicieux non ?
Ça, c’est pour le monde hors de Gilead.
A Gilead, tout n’est que calme, austérité et dévotion. Un monde de tranquillité et de paix, constamment gardé par des hommes armés à chaque coins de rue, s’il vous plaît. Parce que Gilead est en guerre contre le monde entier, son but n’est pas de se contenter d’une ville pieuse mais ne sera satisfait qu’une fois la terre entière soumise à son régime totalitaire.
A Gilead, la société est organisée en caste. L’on se sert allégrement dans le monde normale en main d’œuvre gratuite et on asservit des humains dans des rôles.
Pour les hommes, les places sont très simples. Tous égaux en titre, l’ont fait seulement deux différences : les riches, décisionnaires, les Commandants. Les pauvres, qui occupent les rangs de la milice, tiennent les échoppes ou deviennent des bras droits.
Pour les femmes c’est autre chose…
Il y a les Épouses, femmes des Commandants donc riches et puissantes (par rapport aux autres femmes seulement, ce sont des épouses : pas des compagnes, pas des égales, pas des …. harg je m’emporte)
Viennent ensuite les Servantes : nos fameuses femmes fertiles… Chaque maison de Commandant en a une. Elle n’a qu’une utilité : celle de donner un enfant à ce couple. Pour y parvenir on a instauré un rituel merveilleux :un viol, une fois par mois, au pic de sa fertilité, perpétué dans une cérémonie religieuse à grand coup de paroles biblique et d’union avec Dieu ! C’est si romantique…
Pour tenir la maisonnée il y a une autre caste, les Marthas (voui, comme Martha qui a accueilli Jésus chez elle) et pour amener les Servantes à bien comprendre les règles et leur rôle, il y a les Tantes. Ferventes croyantes, elles éduquent les futures ventres avec toute la perversité et la violence qui incombent à leur mission. N’oublions pas les Econofemmes (!!!) épouses des hommes pauvres, elles entrent au service des maisons où sont employé leur maris.
Il nous manque encore la cerise sur le gâteau : les Jezebel (vile tentatrice!) des prostituées. Parce que l’homme pieux a des désirs à satisfaire et que les écrits bibliques l’empêchent de se corrompre avec son épouse ou sa servante. Il est donc logique qu’il passe au bordel de temps en temps. Hein ?
Et pour toutes les autres, ce sont les Colonies (oui, le Goulag)
C’est dans ce monde merveilleux que l’on suit la vie de Defred. Defred parce qu’elle est la Servante du Commandant Fred Waterford et qu’on retire à ces femmes jusqu’à leur patronyme…
A chaque page du livre on avance toujours plus loin dans la déraison et l’horreur. Margaret Atwood est un génie littéraire parce qu’avec très peu elle vous glace. Parce qu’elle met en lumière le pire de l’humain avec finesse.
J’ai refermé plusieurs fois le livre, trop en colère, trop révoltée. Trop, tout le temps trop !
Écrit en 1985, on peut qualifier ce livre de dystopie. J’ai envie de dire que c’est une prémonition…. Si l’on ne fait pas attention, si l’on n’est pas vigilent, tous les combats seront perdus. Que Gilead prenne vie, je n’y crois pas mais Gilead n’a pas besoin d’être réelle pour que cette horreur au quotidien le soit. J’avais déjà ce sentiment avant la lecture de la Servante écarlate mais il s’est embrasé une fois le livre terminé :
A toutes les femmes qui pensent que le féminisme n’est plus utile, qu’il ne sert qu’à diviser et que les féministes sont des extrémistes
A tous les hommes qui se complaisent dans leur facilité masculine, à tous ceux incapables d’empathie et à tous ceux qui se disent persécutés par les féministes
J’ai envie d’offrir ce livre… (pour ne pas dire les taper avec mais je ne maltraite pas les livres)
La série
Il faut savoir une chose avant de se lancer dans une critique ou quelques comparaisons Livre-Film : si c’est Bruce Miller qui produit cette série pour Hulu et Reed Morano qui la réalise, Margaret Atwood en est aussi productrice et consultante. Jusqu’ici, je n’ai vu aucune mauvaise adaptation, aucun échec artistique, quand on prenait la peine d’intégrer l’auteur d’un livre à un nouveau projet. Si on sent toute l’ambition et l’envie de modernité insufflée à l’œuvre première par l’équipe de tournage, la patte de l’autrice est distillée avec justesse et prend une ampleur savoureuse. Si Bruce Miller a l’intelligence de faire appel à des femmes cinéastes, réalisatrices, costumières, c’est parce qu’il a celle d’admettre sa faiblesse : il est un homme qui veut raconter une histoire de femme.
« Quand j’ai commencé à bosser sur ce projet, j’ai su qu’en tant qu’homme, je serai limité. Quel que soit le show que vous dirigez, vous devez vous entourer de personnes qui contrebalancent vos points faibles. Et sur une série comme The Handmaid’s Tale, clairement, ma faiblesse principale est d’être un homme ! » Bruce Miller, Kombini, juin 2017
Bruce Miller sait pertinemment que sa vision ne pourra jamais être celle de l’héroïne principale, il ne peut qu’imaginer ce qu’elle ressent ou pense. Il fait donc appel à des femmes, ils discutent ensemble, s’interrogent et débattent. On ne peut filmer le corps de Defred, la Cérémonie de viol ou tout autre moment d’intimité sans se positionner en tant que femme si l’on veut que le résultat soit sincère. Et le résultat est une vraie réussite.
La puissance d’un livre est de laisser votre imagination faire le travail, pas besoin de noircir des pages pour vous décrire tel lieu ou tel fait. La subtilité est une richesse en littérature. Bruce Miller, gardait une frustration de son roman phare et je partage ce sentiment. Il y a des lieux, des passages, des personnages de l’histoire de Margaret que j’aurai voulu plus longs, plus complexes, plus détaillés. C’est une des premières chose dont il a parlé avec l’autrice et sur laquelle ils ont travaillé en équipe, de façon très intelligente ! Trop souvent, une adaptation sabre outrageusement dans les parties subtiles et émotionnelles d’un récit, ici c’est l’inverse : le scenario apporte une consistance et une profondeur à l’œuvre originale. La série s’érige sur les fondations qu’a construites Margaret Atwood et elle étend son univers.
Si le livre de Margaret m’a bouleversée, que dire de la série ? Elle m’a poussé dans mes retranchements, m’a paralysée parfois, m’a ouvert le cœur en deux souvent, m’a empêché de respirer, m’a propulsé debout sur mon canapé le poing dressé, m’a terrorisé, m’a anéantie tout autant que libérée. Oui, la Servante écarlate est capable de provoquer tout cela, mais non la Servante écarlate n’est pas une série violente et dure a regarder. Tout ce qui est montré dans la série existe dans notre monde : le viol, le mariage forcée, les fausses exécutions, les punitions, les séquestrations, les tortures physiques et psychologiques, les camps, l’asservissement, le désespoir, la solitude, la peur…
C’est une série pure, sublime et sincère. J’emprunte les mots d’Elisabeth Moss et de Margaret Atwood pour clore là ce débat inutile :
« Quand les gens disent que le show est difficile à regarder, ça m’énerve ! Si vous ne pouvez pas faire face à notre série, comment allez-vous faire face à ce qui se passe réellement dans le monde ? Ce que nous proposons est d’une pertinence choquante ». E.M.
« Nous n’inventons pas la noirceur, nous ne montrons que ce qui existe déjà »M.A.
Avant de porter aux nues cette Elisabeth Moos, j’aimerais m’arrêter sur la photographique de la série. Quelle claque, quelle élégance, quelle puissance ! Tout est d’une beauté rare et au service du scenario. Il y a une chose bien particulière à Gilead ; les gens n’ont pas à dire ce qu’ils pensent. Le silence est maître en cette théocratie, et c’est là que les images expriment tout. Si les acteurs et actrices jouent divinement bien, la manière dont ils sont filmé l’est tout autant. Plans larges ou gros, chacun est maîtrisé et splendide. La palette de couleurs est un scenario à elle seule, la gestion de la lumière, d’une précision qui frôle la perfection. Il y a un réel dialogue entre scenario et photographique dans La Servante écarlate, une volonté d’unité scénaristique et aucune teinte n’est là par hasard, quelle serve à effacer ou mettre en lumière un personnage. Et que dire de la scénographie ? Ce sont des tableaux de Maîtres… Tout est réfléchi et somptueux. Des réunions de servantes, tranchant dans des neiges immaculées ou sous des pluies torrentielles, des Cérémonies où chaque acteur est tantôt inévitable, tantôt annihilé. Les profondeurs de champ vous imposent leur cruauté et les flous envahissent l’écran pour souligner que l’humain n’a plus aucune importance ! Chaque geste technique transporte son lot d’émotion dans un seul but, la narration !
Quand tout ceci est maîtrisé, il reste un ingrédient, et pas des moindres, pour inventer une bonne série : les acteurs ! Tous sont grandioses et ont été merveilleusement bien dirigés ! Même Luke Bankole que je trouvais si agaçant et fade m’a transpercé dès que j’ai saisi l’importance que sa solidarité et sa tempérance revêtait ! Et soyons un honnête, un acteur qui parvient à vous agacer, c’est qu’il est bon !
Cette série n’est pas de celle qui vous poussent a vous identifié aux protagonistes. Personne n’a envie d’être ni de vivre telle ou telle destinée. Bien qu’on retrouve des émotions fortes et une humanité en chacun d’eux, leur parcours ou leur position ne fera rêver personne. Alors laissons-les nous raconter leur histoire…
Je vais y venir à Elisabeth Moos, promis, mais avant je voudrais m’arrêter sur Yvonne Strahovski, Madame Serena Joy Waterford. Voilà enfin un méchant digne du grand cinéma ! Ces méchants complexes, qu’on ne parvient pas à détester entièrement. On le veut, au plus profond de son âme mais rien n’est manichéen dans la Servante écarlate. Yvonne nous dévoile un nuancier d’émotions incroyable. Elle maîtrise le glacial tout autant que la tristesse la plus sincère. Sa cruauté n’a d’égal que sa souffrance et j’ai ressenti de l’empathie pour cette femme. Et cette empathie m’a révolté !
« Ne prenez jamais la douceur d’une femme pour de la faiblesse » Serena Joy à écrit cette phrase dans son ouvrage « A Women’s Place » dont on ne peut s’empêcher de penser que sans lui jamais Gilead n’aurait vu le jour. Elle est responsable, intellectuellement, de la création de cette prison et a celé elle-même sont destin d’Épouse. Pas une fois je n’ai envié sa place, pas une fois, je l’ai excusée et pourtant j’ai tant de fois espéré qu’elle brise ses chaînes ou qu’elle souffre encore et encore…
La relation qui s’installe entre Madame Waterford et June Osborne, sa servante, est une totale réussite, D’une complexité rare, elle vacille entre respect, détestation, jalousie, manipulation et dépendance l’une à l’autre. Là est le génie de ces deux actrices : Yvonne Strahovski et Elisabeth Moos. Je pousse le vice jusqu’à affirmer que Serena Joy incarne le patriarcat à la perfection !
Si tous les personnages féminins ont leur importance, il en est un qui tient toute la série, June Osborne, Defred, la servante écarlate : C’est son histoire que l’on suit et le rôle est porté avec maestria ! Il n’y pas une émotion que Elisabeth Moss ne sache pas interpréter. Chacune vous fend le cœur et vous emporte très loin en vous.
June n’est pas une super héroïne, beaucoup de choses se passent sans elle et même sans qu’elle soit au courant. C’est à nouveau un miroir de notre société, les victoires tiennent au collectif, à l’humanité tout entière. Aucun Avengers ne pourra sauver quoi ou qui que se soit : cette mission incombe à chacun d’entre nous… Nous sommes responsables du monde dans lequel nous choisissions de vivre. Mais June est une héroïne, parce qu’à chaque épisode, elle est encore vivante. Elle a survécu à une journée de plus et ça, ce n’est pas gagné à Gilead… Si l’on est tellement fier et fidèle à June c’est qu’elle est normale. Pour survire elle doit réfléchir, penser et comprendre le monde dans lequel elle évolue. C’est en s’adaptant, sans jamais se résigner, qu’elle peut commencer à faire changer les choses. Parfois c’est volontairement : en argumentant ou en revendiquant qu’elle parvient à convaincre certain de ses proches que la situation à Gilead doit changer. Et parfois c’est simplement en étant elle-même, sans le savoir, par sa simple souffrance et révolte qu’elle va toucher au plus profond d’eux même les gens qui croisent son chemin.
S’il est une force en June qu’on doit garder en mémoire c’est la ténacité !
S’il y a une valeur de June Osborne qu’on doit porter en étendard c’est la Morale.
Il n’y a pas un personnage de cette série qui ne vous bouleverse pas : la fragilité feinte de Ofwarren, l’abnégation de Tante Lydia, la solidarité discrète de Nick, la naïveté d’Eden, la rage de Moira et l’empathie de Rita, le trouble du Commandant Lawrence, l’opiniâtreté d’Ofglen et la perversité du Commandant Waterford. Rien n’est simple dans la Servante écarlate mais tout est réussi !
Si j’ai un conseil à donner avant d’attaquer cette série, il va aux personnes en couple. S’il vous plait, regardez la ensemble ! Vous ne pourrez pas comprendre les émotions qui vont immanquablement traverser votre conjoint(e) si vous ne partagez pas ces moments. Vous serez étranger, observateur et passerez à côte d’un partage immense, d’une réflexion profonde sur notre monde actuel !
De ce conseil découle un avertissement : soyez prêt à voir vos relations sexuelles se temporiser pendant un ou deux mois…
Et s’il y a une mise en garde que je peux adresser à tous et toutes : vos soirées séries télés deviendront vraiment fades par la suite. A l’heure actuelle, je n’ai toujours pas trouvé de séries à la hauteur de la Servante écarlate…
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