« Pour Rose et Louise, l’heure est aux renoncements : la première affronte un divorce, son corps en abîme, sa colère sourde, la deuxième se débat avec le réel et un « trouble anxieux généralisé ». Entre elles se trouve Jenna, sexualité revendiquée sous les regards, invariablement à l’équilibre. Jenna qu’un coup de fil va surprendre un matin : son père est à l’hôpital. C’est le cœur.
Précipitées sur la route à l’orée de l’été, direction l’Auvergne et la famille de Jenna, les trois trentenaires vont alors faire le choix de la césure, cap sur la côte basque. En espérant que l’océan leur offre du répit face à leur peur de la perte, et tous les plaisirs des vacances improvisées : rencontres éphémères, caresses des embruns, peaux dorées, étreintes sous des draps aux odeurs neuves. Le temps d’une échappée, apprendre à respirer sans entraves, enfin. »
Pour son premier roman destiné à un public adulte, Joanne Richoux nous embarque dans un road trip au féminin, fulgurant et rageur, avec un petit air de Thelma et Louise. Dans cette équipée improvisée et orageuse, les trois héroïnes fuient les douleurs du quotidien et cette sensation étouffante d’enfermement, à la poursuite de leur liberté. Au fil des jours qui s’égrènent sous un soleil de plomb tout vole en éclats, les certitudes, les non-dits, mais aussi ce qu’on s’inflige à soi-même et ce qu’on s’interdit de faire.
La Peau des Filles se révèle dès les premières lignes comme un roman sensuel, à vif, empressé, comme un cri sauvage venu des entrailles. Parlant de la maladie, de la mort, des angoisses profondes, ce roman à la richesse insoupçonnée hurle et déborde d’une rage de vivre malgré tout et au-delà de tout, de s’affranchir, d’être soi. Mais c’est aussi un roman intime, lové en creux dans cette notion étrange, « la femme », et dans tout ce que cela peut impliquer de terrible et d’exaltant.
Le style de Joanne Richoux est à nul autre pareil. C’est une claque, si efficace, tranchant et sans artifice. La langue est brute, vive, trempée dans un humour grinçant, cynique, presque cruel. Avec ce regard désabusé qui dissèque le réel, elle déploie toute une poésie abrupte du corps, ce corps exploré dans sa sensualité la plus profonde et pure, dans son désir, dans ce qu’il a de plus primitif, dans ses pulsions superbes, mais aussi dans ses douleurs et dans la honte qu’il fait parfois ressentir.
C’est donc un roman magnifique et d’une puissance incomparable sur ce que c’est que d’être une femme aujourd’hui, (c’en est tout du moins une définition possible), mais aussi sur ce que c’est que de se débattre dans l’existence pour y trouver sa place, sur les errances d’un âge qui quitte l’enfance, et sur la quête de sa propre liberté.

Joanne Richoux, l’incomparable.
« Elle pourrait parler de sa génération. Naître à l’orée des années 1990, incarner l’âge adulte dans Jacques Chirac, Bill Clinton, Bruce Willis et Vincent Lagaf’. Porter des fuseaux jusqu’à la puberté, puis entrer au collège quand Harry Potter découvre ses talents de sorcier. Ecouter Nirvana à quinze ans, avec quinze ans de retard. Présumer que le monde est à nous, réaliser en grandissant que c’est faux. Pas d’admission à Poudlard. Les générations précédentes pouvaient s’en prendre à Dieu, la sienne se déteste et ce n’est pas suffisant. Ni elle ni le autres ne deviendront les héros de quelque révolution, ni elle ni les autres n’exploreront l’espace. Où aller sur Terre ? Elle et ces autres ont grandi avec mille possibles, internet et la télé les énumèrent quotidiennement. Elle et ces autres ont leur QR codes, pas de mot de passe à mémoriser, des objectifs en développement personnel, des velléités de running, ce frisson si Instagram est down. Le système est absurde, moelleux, dangereux, on y consent. » (La Peau des Filles, Actes Sud, p.124)
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