La Maison des Feuilles de Mark Z. Danielewski par les Editions Monsieur Toussaint Louverture : un cadeau somptueux à glisser d’urgence sous le sapin!
En rentrant chez eux un soir, les Navidson – Will, Karen et leurs deux enfants qui viennent à peine d’emménager en Virginie – découvrent qu’une nouvelle pièce a surgi dans leur maison… comme si elle avait toujours été là. Très vite, d’autres changements surviennent ; un mur se décale, une nouvelle porte apparaît dans le salon et derrière elle un couloir étroit et obscur. Simple inattention ? Canular élaboré ? Photoreporter de renom et aventurier intrépide, Will s’y risque un soir mais, manquant de se perdre dans ce qui s’avère être un dédale immense, décide de mettre sur pied une équipe d’explorateurs chevronnés, afin d’étudier ce passage qui paraît sans fin et qui, très vite, se révèle l’être pour de bon. Mètres, plans et appareils de mesure sont réquisitionnés, et soudain l’explication la plus étrange devient la plus évidente : le foyer des Navidson est plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Je….
Voilà qui pourrait amplement suffire à me décrire en terminant la lecture de cet ouvrage. Je… Ajoutez quand même à cela la vision de ma tête aux yeux écarquillés, à la bouche bée dans un mime grotesque d’incrédulité et à mon crâne explosé dont s’échappe moult fumerolles! Parce que je viens de vivre quelque chose d’incroyable, de fabuleux, d’intemporel et d’indescriptible! Et pourtant je vais tenter de le faire: vous donner envie de plonger dans cette maison des feuilles, parce que je ne peux vous laisser passer à côté de ce chef d’œuvre!
Paru pour la première fois en français en 2004 chez Denoël, nous allons parler ici de la réédition couleur remastérisée par Monsieur Toussaint Louverture. Dans sa langue d’origine, le chemin qu’a dû parcourir cet ouvrage est à lui seul une aventure. À la fin des années 1990, La Maison des feuilles est un manuscrit étrange dont aucune maison d’édition ne veut. Imaginez un peu: 32 refus! Certaines parties circulent pourtant déjà sur le net où elles créent un réel engouement. Finalement publié au début du nouveau millénaire, les succès s’enchaînent : nominé pour le Bram-Stoker Award du meilleur premier roman, lauréat du New York Public Library’s Young Lions Fiction Award, le roman devient instantanément culte et se vendra à plus d’un million d’exemplaires. Personnellement j’aime ces histoires où le succès est le choix du lectorat et non pas de l’édition.
Entre récit fantastique, livre énigme, roman gothique voir même horrifique, l’ouvrage de Danielewski est une vraie expérience de lecture. Le texte en lui même est exceptionnel aux chapitres prenants, faits d’intrigues, de rebondissements, d’imagination sans fin, le tout rédigé par une plume superbe! Ajoutez à cela une mise en abyme typographique de folie! C’est de l’art, ça dépasse la simple (très) bonne littérature! C’est du génie, de la transgression, de l’inventivité pure qui démontre avec singularité la puissance de la lecture: son pouvoir infini de nous faire nous évader, de plonger dans l’ailleurs et d’en ressorti nourri, rassasié, heureux et plus grand!
Dès les premières phrases de l’introduction vous savez avoir un main quelque chose de plus grand que vous. Et pourtant vous plongez aisément dans le récit, toute inquiétude est dissipée immédiatement et l’aventure peut commencer. L’aventure? L’immersion! Parce que vous vivez vous aussi dans la maison des feuilles! Vous arpentez, vous perdez, dressez des plans et ainsi s’offrent à vous plusieurs niveaux de lecture avec plusieurs narrateurs dont les polices d’écritures s’alternent.
Trois histoires dans l’Histoire et même quatre: la vôtre, lecteurs! Et donc foultitude d’histoires puisque je reste persuadée que vous ne lirez pas le même roman que moi: vos références, vos sensibilités vous emporteront sur un autre chemin que le mien. C’est comme « un livre dont on est le héros » mais en excellent! Et les errances qui vous attendent ne seront pas le fait de vos choix d’action mais des digressions de vos pensées, des sursauts sur une note, un appendice, et à votre capacité de lâcher prise…
Ceux qui explorent le labyrinthe, et dont le champ de vision est profondément restreint et fragmenté, sont désorientés, tandis que ceux qui contemplent le labyrinthe dans son ensemble, que ce soit en le surplombant ou en l’étudiant sur un plan, sont émerveillés par sa complexité. Ce qu’on voit dépend de l’endroit où on se trouve, ce qui fait que, dans le même temps, les labyrinthes sont simples (il n’existe qu’une seule structure physique) et doubles : ils incorporent simultanément l’ordre et le désordre, la clarté et la confusion, l’unité et la multiplicité, l’art et le chaos. Ils peuvent être perçus comme un chemin (un passage linéaire mais détourné vers un but) ou comme un motif (un dessin absolument symétrique)… Notre perception des labyrinthes est ainsi intrinsèquement instable : changez la perspective, et le labyrinthe semblera changer.
Et c’est ainsi que se poursuit votre lecture: elle se met physiquement à changer. Le texte devient aussi vaste que le couloir sans fin, il vous pousse en vous, dans votre psyché et si c’est parfois déroutant ou effrayant c’est purement merveilleux à vivre! Parce que ce livre est comme la Maison des Feuilles: plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur!
Je résumerais La Maison des Feuilles par: Objet littéraire ondulant, structuré et déroutant aux références universitaires exactes et passionnantes saupoudrées d’humour loufoque, qui demande une implication totale sous peine d’être totalement largué mais sans pour autant être mis hors du roman qui reste facile à suivre tout en sachant pertinemment que le but est de se perdre dans les ténèbres avec délice! Lecture solitaire, personnelle, dont on peinera à résumer les sensations puisqu’elles seront immanquablement différentes de celle de vos amis si ce n’est la connivence d’avoir tous lu quelque chose de vertigineux et ce, que l’on ai adoré, ou détesté (et ils seront nombreux) cette lecture!
Les devinettes : elles enchantent ou tourmentent. Le ravissement repose dans leur solution. Les réponses fournissent des moments lumineux de compréhension parfaitement adaptés aux enfants qui habitent encore un monde où les solutions sont aisément disponibles. Dans la forme des devinettes gît la promesse implicite : tout le monde peut les résoudre facilement. Aussi les devinettes rassurent-elles l’esprit de l’enfant qui vacille follement devant le flot d’informations et les nombreuses questions qui en découlent.
Le monde des adultes, toutefois, produit des devinettes d’une variété différente. Elles n’ont pas de réponses et sont souvent qualifiées d’énigmes ou de paradoxes. Mais la trace d’une formulation propre à la devinette corrompt ces questions et fait résonner l’écho de la leçon la plus fondamentale : il doit y avoir une réponse. De là naît le tourment.
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