Allemagne 1943 – L’année où tout a basculé. L’année des batailles décisives de la Seconde Guerre mondiale. L’année ou les forces hitlériennes ont perdu bon nombre de batailles. L’année ou Adolphe sombre encore plus dans sa « folie ».
Rosella Postorino place son intrigue cette année-là. L’Allemagne est tenue par un Adolphe malmené et paranoïaque. Il est persuadé qu’on en veut à sa vie, même au sein de son pays, dans ses propres murs, dans son quotidien.
Il enrôle de force des personnes chargées de déguster ses repas en primeur.
Ces goûteurs sont des femmes, toutes Allemandes.
C’est la peur au ventre qu’elles s’asseyaient devant des assiettes de victuailles devenues symboles de mort potentielle.
C’est l’estomac noué qu’elles portaient à leur bouche ces mets censés donner l’énergie nécessaire de vivre, telles des lames de guillotine.
Trois fois pas jour, une angoisse de mort, la paranoïa d’Hitler devenant contagieuse.
Trois fois par jour, ce tiraillement de manger à sa faim tandis que le monde extérieur en crève la gueule ouverte.
Trois fois par jour, monter soi-même à la potence.
Rosella Postorino nous offre un roman historique flamboyant. De son écriture limpide elle retranscrit à merveille les odeurs des plats, les arômes et parfums qui embaument les cuisines.
Elle réussit à dépeindre les émotions de ces femmes : la peur, la culpabilité et au milieu de tout cela, les petits instants de bonheur et d’insouciance que la vie parvient toujours à créer, même au plus sombre de nos existences.
C’est le tour de force de ce roman ; les émotions. Il nous conte ce quotidien particulier et l’on touche du doigt l’Histoire.
Celle du peuple allemand, lui aussi sous le joug du dictateur.
Celle d’hommes et de femmes simples que ne participent pas à cette guerre mais la subissent tout autant que les victimes désignées.
D’émotions fortes et primaires, l’on passe par d’autres, plus contradictoires et pourtant cohérentes.
Rosella vous embraque dans un ordinaire, fait tour à tour d’angoisse et de banalité. On en oublie parfois le contexte de la guerre et l’horreur du nazisme, tout comme le peuple allemand l’a vécu. La force de la Vie c’est aussi de continuer à exister, sans pour autant s’accommoder. Cela s’appelle l’instinct.
Le destin de ces dix femmes est passionnant et Rosa est lumineuse. Son regard vif sur l’existence est à la fois lucide, bienveillant et toujours curieux.
Tout est vrai dans cet ouvrage, le personnage de Rosa est inspirée de Margot Wölk, dernière goûteuse du Führer. L’autrice retrace des grands pans de l’Histoire de la Prusse orientale, de Dachau, des Einsatzgruppen, de la Shoah, de la résistance menée par Stauffenberg.
J’ai aimé aborder cette partie de l’Histoire de ce point de vue: apprendre par les petites gens et non les professeurs, comprendre que le peuple allemand à lui aussi subit la folie d’Hitler et pouvoir refermer un livre traitant de ce sujet lourd en parvenant encore à respirer.
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