Des truites, des meurtres et des mouches
Je rêve souvent de passer ma retraite dans une vieille ferme en pierre, perdue au sommet d’une falaise dans les Highlands écossaises. Comme seule compagnie : des moutons, quelques poules, des chèvres accompagnées d’une ou deux vaches à franges. Il y aura un âtre gigantesque pour faire de grands feux aux côtés duquel je lirais des nuits entières. Parce que trois des quatre murs de ma maison seront recouverts de livres, bibliothèques improbables, menaçant sans cesse de s’écrouler. Le quatrième mur sera lui, recouvert d’étagères pour y ranger des bocaux de conserves goûteuses, concoctées avec les produits de mon petit potager, et de bouteilles d’alcool : beaucoup de vin rouge, du monde entier, quelques liqueurs fines pour réchauffer le cœur et des whisky, plein, beaucoup ! Parce qu’à la compagnie de mes bêtes, j’y ajouterais de temps en temps celle d’amis avec qui refaire le monde et boire jusqu’à l’aube ! Voila comment je rêve ma retraite.
Sauf que plus je lis, plus ce fantasme se brouille. L’Écosse semble s’éloigner, les paysages verts et humides font place à de grandes étendues de forêt, à des plaines aux lacs scintillants et des montagnes découpant le ciel !
Parce que plus je lis, plus je tombe amoureuse de l’Ouest américain de Pete Fromm, Jim Harrison, Craig Johnson et tant d’autres. (le dernier Ron Rash est un pur bijou !)
Je lutte, peu soyons honnête, pour garder mon rêve gaélique mais voilà qu’ à l’été 2018, les éditions Gallmeister mettent sur ma route un nouvel auteur : Keith McCafferty et son premier roman, Meurtres sur la Madison. Comment voulez-vous que je résiste ?
La Madison est LA rivière culte pour tout pêcheur de truites et la découverte de ce cour d’eau vous promet un gigantesque bol d’air pur. Parce que s’il est question ici d’un vrai bon roman policier, l’auteur est tout d’abord un pêcheur.
Rédacteur en chef d’une revue spécialisée de la pêche et la vie au grand air, McCafferty reçoit même le prix Robert Traver Award récompensant la littérature dédiée à … la pêche ! Keith vous plonge dans cet univers particulier, où appâts, patience, silence, force d’épaule et respect de la nature vous enveloppe dans une couverture un peu rêche mais pourtant vivifiante.
Je ne connais rien à ce sport, ni aux poissons, ni à rien de rien et pourtant qu’est-ce que j’ai aimé ces leurres : la Elk Hair mouche sèche ou sa consœur la Royal Wolf en passant par des noyées, les réalistes Sedge ou le Stickleback Suspender.
Je n’y connais toujours rien mais je suis sous le charme !
A tous ces secrets de vrais pêcheurs que Keith nous dévoile au fil de pages, il ajoute des personnages haut en couleur, si attachants, si profonds, souvent rudes, parfois durs et pourtant poétiques.
Sean Stranahan, grand connaisseur de truites, peintre et ancien privé est un cœur à prendre. Et quel cœur… Il est discret, délicat et pourtant vif d’esprit. Il s’installe dans le Montana pour titiller le poisson et regarder passer le temps mais va devoir enquêter sur une disparition. Ses investigations l’amènent à collaborer avec un Shérif. Ce Shérif c’est Martha Ettinger qui, elle, enquête sur un cadavre retrouvé avec un mouche plantée dans les lèvres.
Martha est courageuse, fière de sa région et n’a absolument pas l’intention de laisser quoi ou qui que ce soit menacer l’équilibre financier que représente la pêche ni celui d’un écosystème millénaire.
A travers les yeux de Sean l’on découvre non seulement la complexité d’un art mais également les paysages somptueux du Montana. Et le Montana est comme les personnages de ce polar : rustique, abrupte et d’une poésie à couper le souffle.
A travers le regard aiguisé de Martha, c’est la folie de l’humain qu’on embrasse puisque le fil conducteur de cette enquête semble être la santé des poissons.
L’on s’amuse a débusquer un coupable dans l’éventail de personnages qui bordent la rivière Madison. L’intrigue est tenue de bout en bout, solide et minutieuse. Elle suit son rythme comme un cour d’eau suit le sien. Lumineux, frais et fascinant, ce premier roman annonçait une nouvelle série de polars « nature » à surveiller de près !
Un an après, la deuxième aventure de Martha et Sean débarque en librairie !
Me voilà tiraillée entre l’envie de me replonger dans les mots de McCafferty et la douloureuse certitude de voir mon Écosse se voiler encore un peu plus…
Avec les morts de Bear Creek, On retrouve Sean Stranahan, à présent bien installé dans le Montana dont il connaît désormais les rivières comme sa poche. Mais les Montagnes Rocheuses livrent parfois de macabres trouvailles, comme les cadavres de ces deux hommes exhumés par un grizzly affamé. Martha, ma copine Shérif est en charge de cette étrange affaire et comme elle est également devenue la copine de Sean (tout le monde veut être copine avec Martha, ne niez pas) il se retrouve tout naturellement à l’aider. Le même jour, Sean est embauché par un club de pêcheurs pour retrouver une précieuse mouche de pêche volée. Parce qu’on ne plaisante pas avec la valeur des appâts !
Les deux affaires vont se télescoper sur une piste escarpée menant vers quelques-unes des personnes les plus puissantes de la vallée de la Madison. Un nouveau volet trépidant et plein d’humour des aventures de notre duo !
Je n’ai donc pas résisté à lire ce nouveau polar et ne le regrette absolument pas ! Par contre j’ai trouvé une forme de sérénité quant à mon rêve de retraite. J’irais en Écosse, quoi qu’il en soit mais en plus de lire, boire et travailler la terre j’apprendrais à pêcher !
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