Auteur prolifique et atypique
Joseph Incardona, auteur Italo-Suisse, puise dans cette culture mixte et son goût pour le roman noir comme pour la littérature américaine du XXe siècle. Auteur de romans, nouvelles, de scénarios pour le théâtre, la bande-dessinée et le cinéma, il explore des thèmes graves et sombres dans un style décalé, pudique et lucide.
La soustraction des possibles
« On est à la fin des années 80, la période bénie des winners. Le capitalisme et ses champions, les Golden Boys de la finance, ont gagné : le bloc de l’Est explose, les flux d’argent sont mondialisés. Tout devient marchandise, les corps, les femmes, les privilèges, le bonheur même. Un monde nouveau s’invente, on parle d’algorithmes et d’OGM. A Genève, Svetlana, une jeune financière prometteuse, rencontre Aldo, un prof de tennis vaguement gigolo. Ils s’aiment mais veulent plus. Plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Leur chance, ce pourrait être ces fortunes en transit. Il suffit d’être assez malin pour se servir. Mais en amour comme en matière d’argent, il y a toujours plus avide et plus féroce que soi. De la Suisse au Mexique, en passant par la Corse, Joseph Incardona brosse une fresque ambitieuse, à la mécanique aussi subtile qu’implacable »
C’est d’un fait divers que naît l’idée de ce roman. L’histoire d’une gestionnaire de fortune prélevant des sommes infimes sur le dos de ses clients jusqu’à se faire repérer par sa hiérarchie. Dans la tête de Joseph Incardona, les faits se transforment en fable qui deviendra cet ambitieux roman, crédible de bout en bout. Parce que l’auteur écrit ainsi, il ne cherche pas le vrai mais le vraisemblable.
Réseaux de traite humaine, pouvoir de l’argent et oisiveté. Style percutant et rythme effréné. Personnages particuliers et fouillés. Aldo, Svetlana et surtout Mimi Leone. Ha comme j’aime profondément Mimi Leone. Mafieuse corse qui aime sans condition son fils trisomique en gardant des chèvre sur l’ile de Beauté. Ça, c’est quand elle n’est pas en mission et ses missions sont sanguinaires… Dans sa petite Fiat, Mimi Leone a la patience des prédateurs. Elle tue le temps en lisant Ramuz et jamais ne lâche sa proie.
Victor Hugo disait que «Derrière chaque fortune se cache un crime» Joseph Incardona se sert de cette parabole comme fil conducteur de son roman, avec brio. L’argent nous emmène dans les profondeur sombre de l’humain comme dans ses fulgurances. Sans jamais tomber dans les clichés, l’auteur dépeint la mafia, la finance et la convoitise mettant en place un engrenage addictif, brut et redoutablement efficace !
Les écrits de Joseph Incardona sont immersifs, singuliers et surprenants. On pourrait ranger ses livres dans les romans noirs mais ce serait trop simple. Parce que Joseph Incadona n’écrit jamais vraiment de la même façon. Il le dit lui même, il désarçonne le lecteur « Certains ont beaucoup aimé un livre et ne se retrouvent pas dans le suivant. Ma façon de travailler ne fidélise pas forcément le public. J’essaye chaque fois de prendre un nouveau biais, de montrer quelque chose d’autre.»
Joseph Incardona incarne, pour moi, les auteurs Freaks, et si vous me suivez un peu vous savez à quel points je les aime, les Freaks. Noir certes, gothique parfois, acide toujours, à la beauté flou et au désespoir lumineux.
Pour continuer (ou commencer) avec Joseph Incardona, j’aimerais vous présenter André Pastrella , alter ego littéraire de l’auteur. On fait sa connaissance pour la première fois dans Le Cul entre deux chaises qui est aussi sa première publication.
Une bonne façon de commencer non ?
Le Cul entre deux chaises
« Vingt-deux ans à peine et le vague à l’âme déjà solidement chevillé au corps, André Pastrella, » petit Suisse » à moitié rital, survit au jour le jour en swinguant tant bien que mal entre les boulots précaires et les errances nocturnes saupoudrées d’apnées éthyliques et de mégots échoués au fond des cendriers. Jeune loup solitaire en manque de sexe (beaucoup) et de tendresse (surtout), l’éternel intérimaire n’a cependant qu’un seul Graal: il se rêve écrivain et ne trouve le suprême réconfort qu’à la lecture des romans de John Fante, immigré comme lui, et de son double de plume, Arturo Bandini. Jusqu’au jour où la sublime Karla, créature slave à la beauté fatale, l’extirpe du spleen de la fiction et le pousse à passer à l’action… »
Une errance urbaine aux relents de vodka et de clopes. Lucide, Pastrella hurle la nécessité d’une rencontre qui bouleverserait son quotidien. La précarité, l’indigence révèlent ici une soif d’existence que le désir d’écriture ne fait que renforcer. Le sentiment diffus de perte s’accentue au fil des jours. Le manque est latent. Pour le combler, André Pastrella s’exposera comme il peut, maladroitement sans doute, mais avec cette rage aveugle, presque naïve, qui le caractérise.
Un roman écrit à la première personne qui dessine le portait d’un marginal malgré lui, terriblement attachant. Une écriture vive, urgente, désespérée, à l’image de son narrateur, plein d’émotions.
Banana Spleen
« Ça s’est passé sur une route près de Genève. Peut-être un chauffard, peut-être l’alcool… Peu importe. Gina est morte. Avec elle, André avait enfin trouvé un peu de stabilité. Un boulot, du temps pour écrire, moins de vodka et plus de tennis… Et puis le monde s’est effondré. De comportements irrationnels en plaisanteries douteuses, André a perdu son emploi, ses amis, ses repères… Mais entre une crise mystique carabinée et ses tribulations avec un encombrant monument funéraire, une improbable rencontre va l’aider à remonter la pente : Judith, la sévère formatrice d’un stage de réinsertion, se révèle tout aussi portée sur la bouteille et le sexe que lui. Et ça, c’est un bon point de départ… »
Un récit qui alterne périodes de rémissions, périodes de rechutes et vous secoue littéralement. De douche écossaises glaciales et désespérées en séquences douces et poétiques, on plonge dans le chagrin abyssal de Pastrella. Et ce chagrin, sous la plume d’Incardona, devient quelque chose d’une rare beauté. Dans Banana Spleen, le tragique côtoie sans cesse le comique pour évoquer avec force et tendresse le combat d’André pour continuer à vivre. Et à écrire.
Permis C (réédité sous une saison en enfance)
« André Pastrella, petit Rital de 12 ans, atterrit dans une banlieue de Genève à la fin des années 1970. Une nouvelle école, une maîtresse pas des plus tendres et des copains de classe se révélant de vraies peaux de vache. Une initiation au métier de vivre, celle des coups à prendre et à donner. Mais aussi une éducation sentimentale, un adieu à l’enfance par les chemins de traverse avant de prendre son envol. Entre parents en crise, violence du lieu et premiers désirs, André projette ses rêves vers la Sicile, paradis perdu où il passe ses vacances d’été, mais c’est ici qu’il devra se faire une place. »
C’est un roman d’enfance que nous livre Joseph Incardona. Chaleureux, évocateur, il s’attache aux étapes, aux crises qui font grandir. S’inspirant de ses propres souvenirs, il conte deux mondes : une Suisse crispée, les enfants de l’école qui lui jette des cailloux, il est le Rital. La colère du père contre ce pays d’accueil qui n’accueille pas vraiment. La tristesse de la mère qui fait face à la précarité sous anxiolytique, et la dignité qu’on garde comme étendard.
Une Italie idéale puisque lieu de vacances. Tout semble doux parce que le soleil rend tout le monde plus beaux. Pourtant là aussi il est le Nouveau. Jamais vraiment chez soi, jamais vraiment à sa place. Pastrella va rencontrer Étienne et cette amitié vous emporte.
Pas de cliché chez Incardonna, il raconte l’intégration sans pathos ni complaisance. Toute personne qui a dû faire face à une déménagement, enfant, se reconnaîtra dans cette quête d’identité, de place, qui apporte avec elle le doute, la déstabilisation et souvent, une rage de vivre.
Permis C est un conte, un voyage vers l’infini.
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