Pour continuer dans ma mission Lectures de Sorcières, je devais me plonger dans la poésie d’Audre Lorde. Quoi de mieux que ce splendide ouvrage de la collection Sorcières des éditions Chambourakis ?
Au-delà du titre fabuleux et de sa superbe couverture signée Maya Mihindou, ce recueil bilingue de poèmes offre une immersion dans la finesse d’écriture de femmes telle que Robin Morgan, Dorothy Allison, Alice Walker, Paula Gunn Allen et bien sûr, Audre Lord. Cette anthologie fait résonner leur voix, leur combat, leur acharnement et toute la complexité de leur écriture.
C’est Jan Clausen qui ouvre le livre sur un essai, brillant et fouillé, qui met en lumière l’importance de la poésie au sein des mouvements féministes aux Etats-Unis dans les années 1970 – 1980 . La poétesse nous raconte l’histoire des premières années du « mouvement de la poésie féministe », ses actrices, ses lieux, ses moyens de diffusion, ses questionnements, son évolution et propose des pistes de réponse.
Un livre qui souligne l’importance de la poésie dans le monde des luttes et l’efficacité de son pouvoir de diffusion. L’écriture, pour les femmes, a souvent été une arme ; elle continue de l’être, et quand elle se fait poétique, elle devient explosive !
Mais revenons à Audre Lorde, une des grandes figures du Black Arts Movement. Sa poésie est émotionnelle, puissante et militante. Sa vie de femme noire, lesbienne, aveugle, dans les années 50, n’est, vous l’imaginez bien, pas de tout repos. Intelligente, vive d’esprit et habitée d’un brûlant désir d’indépendance, elle transforme toutes les humiliations subies dans sa vie en une force solaire. Audre Lorde est, très tôt, une femme forte et elle partage sa détermination. Où qu’elle aille, son parcours est fait de constructions, de réalisations, d’actions et de créativités. De ses études au Hunter College pour élèves surdoués, naîtra un premier clan de filles, les Branded, dont fait partie la future grande autrice Diane Di Prima. Dans ce club, on s’intéresse au mysticisme, on sèche l’école pour nourrir l’amour de la poésie et de la liberté. De ces amitiés découlera la première publication d’Audre Lord aux éditions Di Prima 20 ans plus tard. De ces voyages en Europe, elle collabore, à Berlin, au développement de la lutte antiraciste et du mouvement afro-allemand. De son séjour en Suisse, où elle donne de nombreuses conférences tout en soignant son cancer, elle devient un mentor pour Zeedah Meierhofer-Mangeli et Carmel Fröhlicher-Stines qui fonderont le Women of Black Heritage de Zurich. A Genève, elle rencontre Rina Nissim, directrice des éditions Mamaelis qui publiera en français les ouvrages d’Audre Lorde.
Son cancer provoque une ablation du sein et Audre Lorde refusera de porter une prothèse. Elle ne veut pas rendre la maladie invisible et par son acte, elle affirme que le silence est néfaste au déploiement « des forces qui peuvent jaillir de l’expérience une fois celle-ci admise et analysée ». Tout est prise de positions dans la vie de la poétesse, rien n’est laissé au hasard et elle réfléchit constamment, sur tout. Elle pose les fondations de l’intersectionnalité et pousse les mouvements féministes à repenser leurs limites. Pas d’étroitesse d’esprit pour Audre Lorde, non, mais un amour inconditionnel de la vie, ses luttes et ses devoirs !
Le poème était ma réponse
Quand on demandait à la jeune Audre Lorde comment elle allait ou ce qu’elle pensait, elle répondait par un poème, parce que « quelque part dans ce poème il y aurait le sentiment, un morceau vital de l’information » la poésie est devenu son langage car elle est essentielle « elle permet de trouver une voix, de trouver sa propre voix, voix que l’on veut faire taire. Ainsi, parler c’est survivre» Pour Audre Lorde, la poésie ne peut être un luxe puisqu’elle permet d’exister. Par la poésie, elle nomme les choses. Sa colère, ses émotions, ses expériences deviennent audibles et prennent donc vie. Audre Lorde structure ses sentiments et en fait des outils de revendication, des armes de combat ! Nommer apporte une réponse construite et donne une voix à la colère. Une fois cette voix trouvée, l’action devient réelle. Audre Lorde combat le silence qui est l’outil de l’oppresseur et parlant pour tout ceux qui n’ont pas encore nommé leur colère. « Ton silence ne te protégera pas. Le poids de ce silence nous étouffera » Parler et mettre fin au silence, c’est survivre. Devenir visible, c’est s’affirmer. « La visibilité nous rend vulnérable mais cette vulnérabilité est la source de notre plus grande force ». Dire et montrer qu’elle existe, donne à la poétesse une force inépuisable, ainsi elle peut servir de modèle aux différents groupes, et appeler à ce qu’ils se lèvent avec elle. Lorde, militante chevronnée, veut que ses mots soient les mots de ceux et celles qui demeurent encore muets. Elle invite toutes les minorités à rompre le silence car il est l’outil de leur exclusion.
Notre savoir de l’érotique nous rend plus fortes
Audre Lorde est lesbienne et sa poésie parle également de cela. Parce que l’homosexualité est encore silencieuse et que homosexualité des Noirs l’est encore plus. Les lesbiennes sont majoritairement rejetées des mouvements Black Power. Les femmes homosexuelles ET noires sont rejetées de la communauté LGBT+ très blanche à l’époque. Alors, pour exister, Audre Lorde nomme à nouveau les choses et utilise l’érotisme et la sensualité comme outil esthétique. Elle fait ainsi entrer la poésie lesbienne noire dans la littérature. Elle n’hésite pas à rendre palpable et visible la sexualité entre deux femmes: elle leur donne de l’existence. Pour Audre Lorde, il y a différentes formes de pouvoir, et l’érotisme en est un. Le pouvoir érotique devient une forme d’affirmation de soi !
Lire Audre Lorde c’est être touchée au plus profond de soi et repartir avec des idées plein la tête, comme un arsenal magique, solaire et dévastateur !
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