Je t’ai donné des yeux

Et tu as regardé les ténèbres

Bienvenue au Mas Clavell, perché entre les falaises des montagnes catalanes. Dans cette maison reculée, à l’aube, Bernadeta une femme plus âgée que l’âge entame son dernier jour. Et toutes les femmes nées et mortes entre ces murs sont là pour la veiller. Joyeuses, elles préparent une fête en l’honneur de celle qui au soir viendra les rejoindre. Elles prient et se relaient à son chevet car elles veulent voir apparaitre sur son visage les marques du démon. Car il viendra, c’est certain, un pacte a été conclu… 

Dieu ne regarda que son fils, n’aima et ne pleura que l’agneau. Il ne se préoccupa de personne d’autre.

Le Mas Clavell veille lui aussi, sur toutes ces femmes et leurs souvenirs. Ceux de Joana, qui voulait un mari. Ceux de Bernadeta, dont les yeux voient ce qu’ils ne devraient pas. Ceux d’Angela, qui n’a jamais mal. Ceux de Margarida, qui au lieu d’un cœur entier a un cœur aux trois quarts, plein de rage. Ou ceux de Blanca, née sans langue, la bouche comme un nid vide, qui se contente d’observer. Et tant d’autres encore, quatre siècles de femmes à raconter… Sur une seule journée… Entre légendes et mysticisme, le texte se fait effrayant, poétique, cru ou lumineux, parfois d’une laideur violente mais toujours les mots chantent et vous régalent. Irène Solà est une magicienne qui manie aussi bien l’écriture que l’oralité et c’est une mélopée qu’elle nous offre, berçant nos âmes de réalisme magique, d’instinct primal et de tout ce qui fait de nous des Humains…  

Je suis restée encore longtemps cachée au Mas Clavell. J’y ai aimé chaque femme comme si elle était mon ancêtre. J’y ai pleuré chaque enfant perdu, chaque homme oublié et j’ai recité chaque prière à Dieu et au Démon pour protéger mes sœurs et nous imaginer un avenir serein.  

Irène Solà m’avait déjà émerveillée avec son premier roman Je chante et la montagne danse. Ici elle est plus dur, plus cru, beaucoup plus violente mais toujours aussi lumineuse et folle dans le choix des mots. Je t’ai donné des yeux et tu as regardé les ténèbres est un texte merveilleux, comme une faveur…  

Dans un village perché en haut des Pyrénées catalanes, la mémoire des drames familiaux, des persécutions et des exécutions de la guerre civile est encore vive. Mais rien, jamais, ne vient altérer la profonde beauté du paysage, terre propice à l’imagination, à la poésie, aux histoires transmises de génération en génération. Dans ce lieu hors du temps où la nature est reine, amitiés, mariages, deuils, naissances s’entrelacent au fil des saisons.