De l’autre côté de l’eau
Elizabeth Acevedo
Certains livres sont comme des miroirs où se reflètent nos propres souvenirs, nos peurs, nos cauchemars. Des bouteilles à la mer remplies d’espoirs, de vies rêvées. Ils renferment le passé, des histoires oubliées, des secrets bien gardés. Ils deviennent alors cimetières, coffres-forts, mémoires dont seul le lecteur a la clé.
De l’autre côté de l’eau, d’Elizabeth Acevedo, publié aux éditions Nathan en août 2022, fait partie de ces livres. A travers un récit en prose, il rend hommage à la mémoire collective de la République Dominicaine, frappée par une tragédie oubliée de tous, effacée furtivement par les médias.
On connait par cœur toutes les histoires
Que nos silences racontent
En 2001, quelques mois après les attentas du 11 septembre, le vol AA587 s’écrase dans le quartier de Queen à New York. Parmi la liste des passagers, la grande majorité est d’origine dominicaine et rentrait chez eux après de longs mois de séparation. Touchée en plein cœur, l’île doit faire face au deuil et à des centaines de vies brisées. Ces vies-là ont servi de terreaux pour le récit de l’autrice : deux personnages fictionnels, deux points de vue, deux continents, deux deuils pour raconter une même souffrance : la disparition d’un être cher.
La première, Camino, vit en République Dominicaine, la seconde, Yahaira, à New York. Toutes deux doivent faire face aux obstacles du quotidien : l’amour, la violence, l’adolescence, les parents, les études… Jusqu’au moment du drame, où le temps semble s’arrêter pour les réunir, malgré elles, autour d’un lourd secret.
Les rêves c’est comme des petites poussières qui se prennent dans tes cheveux ;
elles restent là un peu, mais bientôt quelques gouttes,
ou de longs doigts, viennent les trouver, les décrocher,
& voilà qu’à nouveau on correspond exactement
aux attentes des autres gens
Une histoire en prose, magnifiquement retranscrite par les talents de Clémentine Beauvais, où la forme épurée du poème sert une narration puissante et dévastatrice. Car c’est là que le roman se démarque ; de la prose, libérée de toute contrainte pour permettre un choix dans les mots, dans les tournures, les pauses, les accentuations. Chaque paragraphe est un coup de poing qui sert le suivant et l’histoire avance ainsi, oscillant entre un récit émouvant et une plume engagée.
Ce qu’il y a de mieux chez nous
C’est qu’on est à trois minutes de la plage.
Ce n’est pas toujours un cadeau quand l’eau monte,
Mais ça m’a souvent sauvé la vie, les jours où
J’ai besoin de me rappeler que le monde est plus grand
Que ce que j’en connais, & que ses courants sont toujours en mouvements,
Quand j’ai besoin de me rappeler
Qu’il y a de la vie de l’autre côté de l’eau
& qu’un jour je ne serai plus celle qu’on abandonne
Finalement, l’épigraphe choisie par l’autrice et tirée d’un proverbe dominicain résume à elle seule tout l’enjeu du livre :
El corazón de la auyama, solo lo conoce el cuchillo
Le cœur de la citrouille ne connait que le couteau
La souffrance est propre à chacun et nul ne peut ne peut prétendre connaitre celle de l’autre entièrement. Car comme les livres, nous sommes tous des coffres-forts, des mémoires bien gardées dont nous-mêmes avons la clé…
Commentaire(s)
Ahh merci Monsieur F. !
http://ontheothersidemanga.blogspot.ch