Edward Abbey
En ce début 2021, les éditions Gallmeister nous font un cadeau, le ce genre de cadeau qu’on aime découvrir sous le sapin : un inédit en français de Edward Abbey, un des auteurs les plus engagés et les plus engageant que je n’ai jamais lu ! Larry McMurtry, papa littéraire de la sublime série Lonesome Dove (promis je vous en parle prochainement) considère Abbey comme le Thoreau de l’Ouest américain. Prenez le temps, revenez à l’essentiel, oubliez le tumulte environnant et partons en voyage dans les terres Abbeyennes.
En 1944, à l’âge de 17 ans, Edward Abbey quitte sa Pennsylvanie natale pour parcourir le pays en auto-stop. Quand il découvre l’Ouest américain, il tombe en amour du désert et cet amour durera toute sa vie. Pendant ses études universitaires, il place sa thèse sous « L’anarchie et la moralité de la violence ». Ses écrits et ses positions lui vaudront d’être surveillé par le FBI. Surveillance qui durera toute sa vie et à quoi Abbey rétorque « Je considérerais comme un affront qu’ils ne fassent pas attention à moi. »
Désert solitaire
Pendant 15 ans, Edward Abbey officie comme Ranger dans divers parcs nationaux. C’est le parc des Arches, dans l’Utah, qui lui inspire Désert solitaire, sorte d’autobiographie pamphlétaire. Un chef-d’œuvre qui est devenu un classique du nature writing. Irrévérencieux et tumultueux, Désert solitaire est sans conteste l’un des plus beaux textes jamais inspirés par le désert américain. Entre l’année de son voyage en stop et celles de ses etudes, l’Ouest américain a subi de plein fouet les avancées du progrès. A cette découverte, Edward Abbey entre dans une colère incommensurable et en noircit les pages dans une déclaration d’amour bouleversante à la sauvagerie du monde. Peu d’ouvrages ont autant déchaîné les passions que Désert solitaire: publié pour la première fois en 1968, il est en effet de ces rares livres dont on peut affirmer sans exagérer qu’il « changeait les vies »
Le Gang de la clef à molette
Désert solitaire posait les jalons d’un autre chef d’œuvre: Le Gang de la clef à molette. Si le premier est autobiographique, le second, bien qu’il recèle toute la révolte et l’admiration de la nature de l’auteur, est pure fiction. Ce roman va pourtant s’ancrer dans notre réalité et ce, pour toujours.
Révoltés de voir la somptueuse nature de l’Ouest américain défigurée par les industriels, quatre insoumis décident d’entrer en lutte contre la « Machine ». Le Gang se compose de Seldom Seen Smith, un guide mormon polygame ; Doc Sarvis, un chirurgien poète aussi riche qu’avisé ; Bonnie Abbzug, sa jeune compagne sexuelle, droguée et toujours prête à allumer les mèches d’explosifs ; et George W. Hayduke, le plus bizarre des vétérans de la Guerre du Vietnam, très friand de bière et de dynamite. Quatre activistes écologiques inoubliables, tour à tour détestables et attachants dont on suit les aventures avec passion et palpitation ! Le roman connait un tel succès que son titre anglais « Monkey Wrench » devient synonyme de sabotage écologique aux États-Unis. Sorte d’éveilleur de conscience, de manuel de désobéissance civile, le roman provoque la naissance du groupe écologique radical Earth First! au même titre que Printemps silencieux de Rachel Carson.
Pas besoin d’être un fervent écologiste, un anarchiste ni même un contestataire dans l’âme pour apprécier le Gang de la clef à molette. Être amoureux de la littérature suffit amplement. S’il est subversif, ce roman est aussi un hommage appuyé à la nature sauvage, une dénonciation cinglante du monde moderne et surtout un grand roman épique à la verve tragi-comique sans égale ! Une plume redoutablement efficace, limpide et poétique qui vous touche profondément. Lire du Edward Abbey c’est passer du rire à la révolte, du grognement à la larme à l’œil, de bouffées d’air pure au cœur empesé.
Le retour du Gang
Suite au mythique Gang de la Clef à Mollette, je peux difficilement vous en parler sous divulguer bon nombre de coup de théâtre du premier tome. Si dans le premier roman, c’est l’énorme barrage du Glen Canyon qui symbolise l’ennemi à abattre, dans ce second opus, Abbey ne voit pas plus petit. Le retour du Gang, ou ce qu’il en reste, se réunit pour arrêter la marche de « Goliath », un super-excavateur géant qui détruit des espaces sauvages. Le plus gros engin terrestre mobile de la planète est en mission pour l’Industrie ; celle de dévaster une colossale surface de la Kaibab Forest. Parce qu’il faut bien créer des routes pour atteindre la future mine d’uranium… Paru 15 ans après le Gang, cette suite est tout autant cynique, militante et peut-être encore plus drôle que le premier. On y retrouve des personnages incontournables et quelques nouveaux, tout aussi captivants ou méprisables. La plume d’Edward Abbey a gardé toute sa poésie et sa densité pour nous décrire des paysages fabuleux à la vie riche, hostile et pourtant éblouissante. Les convictions sont toujours là, saupoudrées de sarcasmes qui donnent une saveur piquante à cet éco-terrorisme anarchiste. Le retour du Gang est un vrai bonheur de lecture et assied définitivement Edward Abbey en auteur incontournable de la contre-culture. Un conservateur sauvage et utopiste, aux yeux écarquillés et au cœur sanglant.
En descendant la rivière
Mort en 1989, Edward Abbey est enterré illégalement dans le désert. Aujourd’hui encore, personne ne sait où se trouve sa tombe mais sur cette dernière est gravé l’épitaphe « No comment » Il restait un écrit d’Abbey encore non traduit, le voilà enfin et nous retrouvons l’auteur américain poète et provocateur à son meilleur, au moment où nous avons le plus besoin de lui. Exploration de la beauté impérissable des derniers grands espaces sauvages américains, En descendant la rivière nous entraîne dans des paysages où le corps et l’esprit flottent librement. Et leur immensité réveille des méditations sur des sujets allant de la vie d’Henry David Thoreau à la militarisation des grands espaces. On y entend alors une condamnation passionnée des coups portés à notre patrimoine naturel au nom du progrès, du profit et de la sécurité. Rempli d’aubes enflammées, de rivières brillantes et de canyons radieux, ce recueil est chargé d’une rage sincère et déchaînée contre la cupidité humaine.
Seuls sont les indomptés
Autre grand succès de l’auteur, ce roman est adapté au cinéma par David Miller avec un Kirk Douglas au sommet de sa forme.
Au milieu des années 1950, Jack Burns reste un solitaire, un homme hors du temps. Il s’obstine à parcourir le Nouveau-Mexique à cheval, vit de petits boulots et dort à la belle étoile. Lorsqu’il apprend que son ami Paul vient d’être incarcéré pour avoir refusé de se soumettre à ses obligations militaires, Jack décide de se faire arrêter. Retrouver Paul en prison et s’évader ensemble, tel est son plan. Mais il est loin d’imaginer que son évasion va déclencher une traque d’une telle ampleur. Car nul ne peut impunément entraver la marche de l’ordre et du progrès. Seuls sont les indomptés est un bijou qui dévoile avec cette échappée sauvage le prix à payer pour la liberté.
Le feu sur la montagne
John Vogelin a passé toute sa vie sur son ranch, une étendue de terre desséchée par le soleil éclatant du Nouveau-Mexique et miraculeusement épargnée par la civilisation. Un pays ingrat mais somptueux, qui pour lui signifie bien davantage qu’une exploitation agricole. Comme chaque été, son petit-fils Billy, douze ans, traverse les Etats-Unis pour venir le rejoindre. Cette année-là, Billy découvre le ranch au bord de l’insurrection : l’US Air Force s’apprête à réquisitionner la propriété afin d’installer un champ de tir de missiles. Mais le vieil homme ne l’entend pas ainsi. Et Billy compte bien se battre à ses côtés.
« La dernière chose que je vis, avant de m’envelopper dans une couverture de selle et de m’effondrer sur la paille, fut le pâle ruban de l’aube au-dessus de la barranca. Mes paupières se fermèrent, ma tête cessa de tourner, mes larmes séchèrent sur mes joues, et le monde, le grand le vaste monde avec ses montagnes et ses policiers et ses pumas et ses chevaux et ses femmes et ses hommes fondit et disparut comme un rêve. »
Un fou ordinaire
» Au-delà du mur de la ville irréelle, au-delà des enceintes de sécurité coiffées de fil de fer barbelé et de tessons de bouteille, au-delà des périphériques d’asphalte à huit voies, au-delà des berges bétonnées de nos rivières temporairement barrées et mutilées, au-delà de la peste des mensonges qui empoisonnent l’atmosphère, il est un autre monde qui vous attend. C’est l’antique et authentique monde des déserts, des montagnes, des forêts, des îles, des rivages et des plaines. Allez-y. Vivez-y. Marchez doucement et sans bruit jusqu’en son cœur. Alors… «
Voici les premiers mots d’Edward Abbey d’Un fou ordinaire. Tour à tour contestataire, contemplatif ou irrévérencieux, toujours profondément sincère, ce livre est la déclaration d’amour d’un des plus grands auteurs américains aux immensités sauvages de l’Ouest.
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