Fred s’habille, Peter Brown
Ce mois-ci, la littérature jeunesse a une fois encore été dépoussiérée par un petit ouragan de fraicheur et de modernité. Ce vent nouveau, nous le devons à l’artiste Peter Brown et son album Fred s’habille, publié en août dernier aux éditions Kaléidoscope. Un album à première vue très simple dont l’intrigue entière se devine à la lecture du titre ; un titre vu et revu, qui sera décliné à l’infini des années durant. Mais derrière cette énième conformation aux valeurs d’une société patriarcale et strictement genrée, se cache un album aux antipodes de ses prédécesseurs.
Fred, petit garçon curieux et plein de malice se retrouve nu, libre comme l’air et virevolte à travers la maison. On notera dès le début, le choix symbolique d’un prénom mixte, laissant à notre héros une part supplémentaire de liberté. Puis très vite, Fred se retrouve aux portes d’un monde sans fin : le dressing de ses parents. Une caverne remplie de trésors en tous genres, dont certains familiers et d’autres bien plus mystérieux. C’est bien évidement vers les chemises et les cravates que Fred se dirige en premier, pensant à quel point cela serait amusant de s’habiller comme son père. Mais c’est ensuite qu’arrive la secousse, le tremblement, le séisme : Fred observe les vêtements de sa mère et décide de les essayer à son tour.
La littérature jeunesse n’a pas seulement été dépoussiérée, elle avance : jamais la représentation du travestisme n’avait été aussi explicite. Ici, il n’est pas question de se déguiser, le message va plus loin encore : Fred se retrouve et se sent bien dans des vêtements dits « féminins ». Du côté de la narration, une seule phrase suffit « Avec soin, Fred choisit une tunique, un foulard et des chaussures ; ça lui va très bien ». Du côté de l’illustration, le jeune garçon affiche un sourire rayonnant, sourire qui était alors inexistant lors du premier essayage. Mais loin de s’arrêter à cette première brèche, Peter Brown repousse les limites de la représentation : Fred défile chaussé de talons, fouille dans la boîte à bijoux et tente d’appliquer du rouge à ses lèvres. Puis soudain, la porte s’ouvre et le jeune garçon se retrouve nez à nez avec ses parents.
S’en suit alors le second coup de génie de l’auteur : deux doubles pages sans texte, sans aucun mot pour retranscrire cet instant suspendu où la tension atteint son apogée. Les parents sur la page de gauche, leur enfant sur celle de droite. Une frontière générationnelle qui les sépare : deux univers, deux systèmes de valeurs, d’un côté le passé, de l’autre le présent. Mais cet album n’aurait pas trouvé sa place parmi mes coups de cœur si le dénouement n’en avait pas été aussi bienveillant. Car c’est sur ce dernier point que l’auteur mérite tous les applaudissements. Passé l’étonnement, les parents de Fred décident à leur tour de se travestir en prenant soin de montrer à leur fils les bons gestes à suivre :
Maman commence à se maquiller. Fred l’observe avec attention et l’imite. Toute la famille se prête au jeu.
Aucun jugement, aucune critique, seulement de la douceur et des attentions affectueuses.
Finalement, c’est ce naturel et cette simplicité qui font du bien. Les grands discours et les leçons de morale restent au placard pour laisser place à l’amour et à l’inclusivité. Dire peu pour dire bien, c’est donc tout l’enjeu de l’album Fred s’habille, dont le titre parait désormais si universel et porteur de sens.
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