L’autre jour, une cliente me demandait si j’avais des romans lesbiens. Tiens, quelle bonne question ! Trifouillant dans ma graaaaande culture, et dans les rayonnages, j’ai pu proposer quelques ouvrages à ma cliente qui est repartie, heureuse, avec La couleur pourpre d’Alice Walker et Bouche-couse de Marion Muller-Colard dont m’avait beaucoup parlé ma collègue Sabrina.
Le soir venu, tranquillement lovée sur mon canapé, je repensais à tout cela. Est-ce qu’il existe une littérature lesbienne ? Est-ce que telles ou telles histoires ne peut être lues que par un public précis ? Y a-t-il des auteurs et autrices estampillés Homo ? Et je me suis souvenue de Baptiste Beaulieu qui proposait cette réflexion : quand on lit, enfant ou adulte, on s’identifie à tel ou tel personnage et force est de constater que trop souvent les récits sont inconsciemment normés : Hetéro, Blanc etc. Des rôles qu’on colle aux personnages, comme les réflexes de notre société. Baptiste lui même réalisait que dans ses propres romans il manquait de personnages gay, simplement gay, sans force de revendication, juste existants. Alors j’ai fouillé dans ma mémoire pour trouver des livres lus, où justement il est question d’amour au féminin, sans être des pamphlets ou des symboles. Et bien il y en a ! Et de très bon de surcroît ! En voici trois, qui, pour moi, représentent parfaitement les différentes facettes de l’amour (entre femmes, ou non). Parce que l’amour finalement est juste universel.
Ça raconte Sarah
Un premier roman magistral!
La latence : temps qu’il y a entre deux grands moments importants
Le rendez-vous de deux femmes, avec la vie. La découverte de la Passion. Le livre de l’amour à mort, de l’urgence, du Vertige! Parce que Sarah c’est la vie, la fougue et la brûlure!
Dans cet amour là, on est vivant. On vibre à chaque regard de l’autre et on tremble à chaque absence.
Tout devient incandescent, sublime, étourdissant.
Alors on dévore, on absorbe, on engloutit : l’autre, le désir, les corps, le temps, les mots, les goûts, les regards et les émotions.
Parce que de cet amour là naît une faim, insatiable, de l’autre et de ce qu’il fait de nous.
Dans cet amour là, l’instinct n’a plus sa place, la raison encore moins. Même quand ils hurlent de toute leur force au fond de votre âme, vous n’entendez pas. Seul compte cet amour là.
Dans cet amour là, personne ne peut survire parce que tout devient violent, absolu, épuisant.
Parce que les passions ne peuvent pas durer, parce qu’elles ne permettent pas de construire. Alors les passions brûlent, épuisent et ne finissent plus qu’à faire souffrir. Un mal de chien, une douleur atroce, un malheur à nul autre pareil.
Mais cet amour là nous fait aimer cela également. Parce qu’ainsi, il dure. Encore un peu… Jusqu’à l’abandon totale de soi, jusqu’au tragique, jusqu’au fatalisme.
D’une traite, sans lever les yeux, en apnée, immersion totale dans ce roman, c’est ainsi qu’on lit les mots de Pauline Delabroy-Allard . Exactement comme on vit cet amour là.
Pauline Delabroy-Allard signe un premier roman fabuleux. Si fabuleux qu’elle sera, en 2018, lauréate du prix « envoyé par la poste » du « prix du Style » et du prix « Roman des étudiants France Culture-Télérama » et retenue jusque dans la deuxième liste du « prix Goncourt » et « Goncourt des lycéens » elle sera également lauréate du Goncourt choix polonais, choix de la Roumanie et des Libraires de Nancy. Comme quoi, la passion ne laisse personne indifférent.
Du bout des doigts
Je ne vous parlerais pas de Caresser le velours, roman culte de Sarah Waters, mais je vous recommande vivement de le lire, comme tous ses autres romans, remarquez…
Je voudrais vous parler du bout des doigts, roman victorien, roman policier, roman gothique, roman lesbien : classez le où bon vous semble, personnellement je le range dans ma bibliothèque.
Sarah Waters nous emmène dans deux mondes.
Celui de Sue : le Londres populaire, celui de la rue, des voleurs à l’argot poétique, celui de la misère banale, de la débrouille.
Celui de Maud : La vie confortable des gens bien nés, cultivés et engoncés dans un paraître aristocratique.
Chaque univers a ses traditions et ses prisons, des rêves et des dessins. Tous vont être réunis par un ingrédient plus fort que tout : l’amour. Mais attention pas question ici de romantisme et autres délicatesses mièvres. Non, Sarah Waters nous déploie une intrigue psychologique tortueuse, machiavélique et sombre. Roman à deux voix, l’on suit ces demoiselles, tour à tour manipulatrices et victimes mais toutes deux désireuses de prendre en main leur destin. Une histoire oppressante, passionnante, sur fond d’érotisme féminin. C’est beau sans sombrer dans les clichés. C’est voluptueux, sensible et enivrant. Parce qu’en plus d’être une narratrice hors paire, Sarah Waters sait parfaitement raconter le désir des femmes qui aiment les femmes. Ses histoires touchent tout le monde puisque, fondamentalement, elles parlent d’amour, de désir, de trahison et qu’on peut tous s’y retrouver.
Après l’Amour avec ce A majuscule que nous raconte Pauline et celui de la relation qui se construit dans le Sarah Waters, parlons sexe avec
Quatrième génération
de Wendy Delorme. Et Wendy Delorme parle de sexe comme il se fait : sans violon ni paillettes mais avec de la fougue et de la sueur. L’amour est complexe, le sexe également, la femme tout autant et Wendy Delorme encore plus. Son roman vous ravira ou vous rebutera, soyez-en certain. Tout y est malmené : les corps, le féminisme, les clichés et l’amour. Et pourtant elle sublime tout cela. Parce qu’elle écrit avec une verve puissante, engagée et inspirée.
Manon est une jeune femme, plus tout à fait jeune fille, une enfant sauvage qui vibre de liberté. Elle a cette apparente simplicité, ce ludisme, cette légèreté de la jeunesse mais détient en elle également la difficulté de se réinventer. Manon nous raconte quatre générations de femmes, quatre génération de féminisme avec ses contradictions, ses harmonies, ses luttes et ses erreurs. Elle raconte aussi son voyage dans les milieux alternatifs, laboratoires dans les quels elle va confronter ses désirs, son corps, sa sexualité.
Un roman cru, exacerbé empli d’une énergie folle !
Je résumerais ce livre par les mots de Wendy : « Il y a celles qui sont restées bien debout pour gueuler je suis féministe, pour claquer le pavé en talons aiguilles, pour vivre avec rage, force et joie et pour s’envoyer en l’air parce que chacun de nos orgasmes est un défi lancé à la face du monde ».
J’ajouterais encore ce petit livre, qui n’est pas un roman mais que j’ai trouvé si délicat
Les filles ont la peau douce. Un petit guide des relations entre filles : séduction, sexe, coming-out, vie à deux…
Vous pouvez également lire l’article d’Alexandra sur Virginia Woolf et celui de Luc pour la BD Love is Love
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