Quand on sait que le rire à souvent été associé au Diable, que l’Église l’a longtemps considéré comme indécent, on sait tenir en main un ouvrage dangereux!
Les sexe des femmes Fragments d’un discours belliqueux
par Anne Akrich
Dans ce livre iconoclaste, l’autrice dit tout haut, avec une audace rare, ce que beaucoup de femmes pensent tout bas et que beaucoup d’hommes se refusent à concevoir. Désir féminin, maternité, viols, consentement, dialogue impossible entre les sexes sont au cœur de ce petit traité à l’humour ravageur. Et si le rire était l’arme la plus puissante pour surmonter nos antagonismes stériles ?
Par les affres du désir féminin, Anne Akrich nous apostrophe sur l’absurdité de certaines situations, encore et toujours dominées par une pensée patriarcale normative et, par l’éclairage de ses mots, définitivement réductrice.
« Nous sommes entrés dans un temps profondément comique, aussi sommes-nous incapables d’en plaisanter. Le rire a viré jaune ; le sourire au rictus des mourants. Difficile de croire qu’il est encore possible de négocier un rapport heureux entre la différence et l’égalité. Tout se règle désormais sur le mode du conflit. La vie sexuelle et sentimentale est devenue un champ de bataille. Comment en sommes-nous arrivés là ? Est-il encore possible d’aborder aux rivages du sexe des femmes sans prendre un éclat d’obus dans l’œil ? Le désir doit-il fatalement conduire à la boucherie ? Tous les chemins de la séduction doivent-ils mener à la dévastation ? Est-il encore possible de rire de nous, femmes, hommes, guerrier·ère·s maladroit·e·s, sans s’étrangler ?
Comme au 17e siècle, les femmes qui souhaitent cette bataille sont taxées de ridicule. Les féministes d’aujourd’hui sont les précieuses d’autrefois.
Si l’on veut comprendre quand l’embrasement a commencé, il faut se souvenir que la cigarette responsable des flammes a été jetée, il y a plusieurs années, dans un trou. C’est d’ici que le grand incendie du début du 21e siècle est parti. Du sexe des femmes. C’est de cette tranchée même que nos contes de guerre et de vengeance
se racontent désormais. Toutes les histoires sont sorties du trou comme les fourmis d’une charogne. Encore faudrait-il les écouter.
Comment en êtes-vous arrivés là ? À parcourir distraitement les pages de ce livre aussi bizarre que son objet, aussi fragmentaire que sa méthode, aussi fracturé que son autrice. Conviés à mettre les mains dans l’arrière-monde des femmes et
touiller la mélasse. Malaxer le danger, la peur, la honte et l’humiliation. Essayer d’isoler le plaisir, l’extraire de la bouillie et sauver ce qu’il reste à sauver de nos désirs.
Ce livre est le hoquet qui relie les rives du rire et de l’angoisse. »
En sept chapitres abrasifs, l’autrice exprime sa rage, sa tristesse aussi, avec un verbe haut, hilarant et grave, elle décortique tout ce qui coince et qui plombe les relations avec les hommes.
Préhistoire
Spéléologie: exploration du jardin d’Eden
Mythos de la caverne
Ou l’innocence se déchire
Le bruit que fait la honte en tombant
Leçon d’anatomie comparée
L’arme du crime
La domestication du feu
Considérations sur l’organe le plus intelligent du corps humain
Les six fonctions du vagin
Les mots du sexe
Où l’on apprend que les femmes viennent de la république de l’humilité et les hommes de l’empire où l’on peut proclamer n’importe quoi, n’importe quand et sur n’importe que ton
Vices et vertus de la dissimulation
De ce que l’on peut dire et de ce que l’on doit taire
De l’humilité à l’humiliation
Le déchiffrement des borborygmes masculins
La reproduction des mammifères
Hypocrisie des hippocampes
Petit traité d’éducation
Le miracle de la vie
La chute de l’empire du désir
Le capital désir
Ardeurs paradoxales
Notre secret
Le goût des crépuscules
Bienvenue dans la zone grise
Vingt ans après
Analyses des métadonnées
De l’importance d’appeler un pachycéphalosaure un pachycéphalosaure
Trancher le nœud gordien du consentement
La révolution en marche
De la difficulté d’enrichir son vocabulaire à l’âge adulte
Où le point G du féminisme est atteint bien plus vite que l’orgasme
La bande-son de l’époque
La guerre des récits
« Alors tu l’aimes ma grosse bite?
Un jour, un homme avec lequel je venais d’engager un rapport d’ordre sexuel se métamorphosa en dictionnaire des synonymes et se mit à me jeter à l’oreille tous les équivalents du mot verge comme des cailloux au fond d’un puits, ponctués de Hum, oui, encore! Comment lui dire que l’oreille est une chose intime? On ne peut pas en boucher l’accès impunément. Nous avons besoin de garder quelques orifices libres, sinon nous risquons d’imploser(…) »
« Or, dans ma famille, quand j’essaie de parler d’Édouard Louis, ils comprennent Émile Louis, le tueur en série. Je veux parler littérature et lutte des classes, eux ils répondent petites filles démembrées dans l’Yonne. »
« Je ne connais pas beaucoup de femmes qui, pour s’exciter, traite leur mec de chien galeux au moment de jouir: Hein, hein, t’aimes ça, espèce de bâtard retrouvé dans un dépotoir, hein, tu vas la faire suinter ta petite saucisse de lépreux? »
« On peut dire les horreurs qu’on veut sur la maternité à condition de conclure que c’est merveilleux. C’est dans ce territoire où fleurit la vie que se joue la plus longue agonie de la femme. Une question se pose encore aujourd’hui: peut.on émettre de sincères objections, formuler des regrets, nourrir des remords? Est-ce audible? »
« Mes noces avec la honte furent scellées ce jour là. C’est une admirable compagne. Jamais elle ne vous lâche. Son lieu de prédilection pour se lover? Le sexe des filles. Il se gorge de honte, inonde le reste du corps et plonge le cœur dans le silence(…)Bien sûr on se dit qu’il faudrait arrêter de payer les dettes qui ne nous appartiennent pas. Tout en crevant de culpabilité, j’avais l’intuition qu’eux, le tonton, les violeurs, les dévoreurs d’enfants, n’étaient rongés par aucune honte. Ils l’avaient déposée dans notre camp(…) En violant, les hommes se nimbent d’un écrin de pureté. En éclaboussant autour d’eux, ils se purifient. Leur âme est sans tache. Notre visage est grêlé. »
« Être une femme, c’est faire le même usage du langage qu’un agent immobilier(…) On ne dit pas Plancher infesté de puces mais Charme de l’ancien pour cette pépite rendant ses lettres de noblesse au point de Hongrie. On ne dit pas Au septième étage sans ascenseur mais Petit nid suspendu sous les toits qui s’offre comme récompense au sommet d’un bel escalier de pierre. Pas plus qu’on ne dit, quand on est une femme: J’ai envie de m’assoir sur ton visage et que tu me fasses un cunnilingus pendant huit heures. Il serait avantageux de pouvoir formuler la vérité de temps à autre. Mais le concept de ne-pas-pouvoir-dire-certaines-choses a été insufflé aux femmes depuis l’Olympe des hommes. »
« Je me situe du côté vorace du désir. De la raideur dans la nuque. Je ne sais jamais si j’ai envie de faire l’amour ou si je couve une méningite. Je suis en proie à un désir souterrain qu’on attribue d’ordinaire aux hommes. Je suis un dragon qui pourrait, s’il n’était pas dompté, tout calciner sur son passage(…) Mais j’ai une capacité de jouissance hors du commun. Ça confine au pouvoir magique. Je suis au sexe ce que le lièvre à la royale est à la gastronomie: un chef-d’œuvre du patrimoine. »
« l’humour est la seule manière de dire la vérité sans se faire assassiner. »
De ce que l’on peut dire et de ce que l’on doit taire
Femmes
On ne dit pas Je ne veux un enfant pour rien au monde mais on dit Je n’ai pas encore rentré le bon père.
On ne dit pas Je suis belle mais on dit Je correspond aux critères de beauté en vigueur… et encore, pas dans tous les pays.
On ne dit pas Ne fais pas ton malin mais on dit J’ai compris.
Hommes
On ne dit pas Tu m’as tant manqué mais on dit Je savais que tu m’attendais.
On ne dit pas Pardon mais on dit Tu m’emmerdes.
On ne dit pas Je ne sais pas mais on dit Comment peux-tu ignorer ça?
« Depuis leur découverte, on a nommé deux milles espèces de dinosaures. Imaginez si, après avoir trouvé le premier fossile, les scientifiques s’étaient dit: C’est bon les gars, pas besoin de chercher plus loin, y a un gros truc là, ça doit être le tibia d’un vieux machin qui a disparu, appelons ça terrible reptile, et puis on se met sur un autre dossier, ok, les gars? Vous me faites ça ASAP, je compte sur vous. Non, ce n’est pas comme ça que la connaissance avance. Avec le viol, c’est pareil. Si un pachycéphalosaure essaie de te fister avec son crâne, ce n’est pas pareil que si un ankylosaure tente de t’enculer avec la boule qui est bout de sa queue. Ce serait beaucoup plus simple, après s’être fait agresser, de pouvoir dire: Alors ça, c’est simple, c’était un diplodocus incontinent. Ce qui vient de m’arriver? Un carnotaurus édenté. Et ça? Un deinonychus affamé. Et les gendarmes en face acquiesceraient en cochant la longue liste des abus sexuels classifiés. »
« Si les hommes risquaient de se faire enculer à tout bout de champ, ils trouveraient un moyen rapide de régler le problème.ça déconsentirait à une vitesse…! Faites peser sur les hommes les mêmes risques que sur les femmes et on démêlera le sac de nœud du consentement plus vite que prévu. »
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