Blutbuch, livre de sang, Blutbuche, Hêtre pourpre
Je n’ai jamais, lisez-moi bien, jamais lu quelque chose de semblable. Il est 5h du matin et je viens de passer une nuit entière en compagnie de Kim de l’Horizon. J’ai commencé son livre il y a douze jours, avalant les quatre premiers chapitres, comme on boit un thé; savourant tant les arômes que les effluves, soufflant dessus délicatement tout en craignant qu’il refroidisse, cherchant la température idéale pour profiter de tout ce qu’il a à offrir. Alors j’ai reposé le livre. Parce que j’avais compris une chose, je devais être à la disposition du livre. Non l’inverse. Ce n’était pas à lui de trouver une place dans mon emploi du temps. J’ai reposé le livre sur la table du salon, nous attendrions tout les deux d’être disponibles l’un pour l’autre. J’aurai pu le cacher au fond de ma bibliothèque, j’allais y revenir, je ne risquais pas de l’oublier. Ma vie ne manque pas de nuits grises, sommeil suspendu dans le silence des étoiles, et c’est cette nuit qu’il a choisi pour m’envelopper de sa beauté. Le livre, das Buch, est terminé et moi je ne suis plus la même.
Lorsque sa grand-mère commence à perdre la mémoire, Kim tente de combler les silences en invoquant ses souvenirs d’enfance, dans une remémoration d’une infinie et terrible tendresse. S’ouvre alors une tourbillonnante quête familiale sur les figures féminines qui constituent sa lignée maternelle : un arbre généalogique de sorcières entretenant un puissant lien avec la nature, de femmes subversives en recherche permanente de liberté, parmi lesquelles Kim se crée une place.
A travers la généalogie familiale que Kim de l’Horizon dépeint dans son livre, vous accompagnez l’enfant sur le chemin de la maturité. A travers les souvenirs et les portraits de femmes, de mer, qui ont jalonné sa vie, vous devenez autre et à la fois tout. A travers cette écriture flamboyante vous êtes universelle. Le roman de Kim de l’Horizon n’est pas une quête, ni un abandon, ni une lutte, c’est une révolution littéraire. La langue choisie est d’une beauté sans égale, novatrice et libre. Je pourrai dire libératrice mais je n’en ai pas envie, parce que je n’ai pas envie d’être libérée, de quoi que ce soit, je suis juste libre. Et Kim de l’Horizon est libre. Libre de nous conter son histoire. D’aucuns diront que ce livre est un livre de transition, du parcours de il à elle, de Dominik Holzer à Kim de l’Horizon, de l’hétéronormé à la non binarité. Je pense que ce livre est un récit de transition oui, mais celle de tout enfant qui devient adulte, tout simplement. Et je pense aussi que Kim de l’Horizon est, depuis sa naissance, une personne éclairée, clairvoyante et d’une sagesse folle. Ce ne sont pas des fées qui se sont penchées sur son berceau, ce sont tous et toutes les philosophes que la terre compte depuis que le monde est monde.
Hêtre pourpre est un roman prodigieux, de la définition même du prodige: Évènement extraordinaire, de caractère magique ou surnaturel, un acte extraordinaire. Non pas de ce qu’il raconte, mais de comment. En refusant le genre, en usant du neutre, habituel dans la langue allemande, en jouant du dialecte suisse-allemand, Kim de l’Horizon n’invente pas une langue: il s’approprie les langues, les fait siennes et à partir de là, les mots parlent à tous et toutes, et nous le comprenons. Kim de l’Horizon n’a pas écrit un roman en langue inclusive, cela va au-delà. Hêtre pourpre est fait d’une langue nouvelle, intelligente et d’une beauté sans égale. La langue des mer est en nous depuis la nuit des temps, avant ce livre je ne le savais simplement pas. Je suis encore dans la maison de Grand-mer, je suis encore une boite, je suis encore un hêtre pourpre, je suis, encore et longtemps, après avoir fermé ce livre.
Vous êtes tour à tour fragile ou exalté, survolté ou révolté, vous êtes vulnérable mais jamais en danger… Vous êtes l’enfant. Ce n’est jamais dangereux d’être l’enfant. Et être l’enfant veut dire que tout est possible, que les contraintes sociétales ne vous ont pas encore muselé, que les rêves deviendront réalité, que l’imagination n’a aucune limite et que vous pouvez être chevalière ou prince, sorcière ou jardinier, bulbe d’orchidée ou buisson, homme ou femme, ou rien de tout cela, et être, simplement. Être l’enfant c’est cela, c’est être libre et je souhaite à la terre entière de s’en souvenir.
Blutbuch, Hêtre pourpre, n’est pas un roman facile à lire, ne vous y trompez pas. Il y a des passages d’une violence folle, des circonvolutions étourdissantes, des doutes déstabilisants, du sexe brut, des peurs réelles mais… La vie est ainsi faite alors pourquoi vouloir le cacher. Ouvrir un livre c’est prendre des risques mais je peux vous (r)assurer d’une chose c’est que la plume, et le bois, dont est fait ce roman est d’une délicatesse, d’une splendeur, d’une vitalité tel que vous ne vous exposez à aucun danger. Si ce n’est de retrouver l’enfant et de vous souvenir que nous sommes tous et toutes des funambules. Kim de l’Horizon aussi, mais qui n’a plus peur de tomber.
Puisqu’il s’agit ici de langue et de langage, je dois vous parler de Rose Labourie. C’est grâce à elle qu’il m’a été possible de lire ce roman, parce qu’elle a réalisé le travail incroyable de le traduire. J’ai 45 ans et en 45 ans, je n’ai jamais ressenti de regret, pour quoi que ce soit. Jusqu’à ce jour. J’ai regretté de n’avoir pas continué mes cours d’Allemand pour pouvoir lire Blutbuch en langue originelle. Il me faut donc saluer et remercier Rose Labourie pour le travail exceptionnel qu’elle a fourni sur cette traduction et sa note en début d’ouvrage accompagne à merveille le lectorat francophone dans l’aventure qu’il s’apprête à vivre.
Kim de l’Horizon a reçu le Prix Suisse du livre 2022 et également le Prix du livre Allemand 2022. Équivalents du prix Goncourt, ces deux instituions ont souligné à quel point « Avec une énorme énergie créative, le narrateur non binaire du roman « Livre de sang » cherche son propre langage. La forme romanesque est en perpétuel mouvement: chaque tentative de langage, de la scène plastique au mémoire sous forme d’essai, déploie une urgence et une force d’innovation littéraire qui ont provoqué et enthousiasmé le jury. »
Je souligne pour ma part que l’éditeur allemand de Kim de l’Horizon a du faire appel à un service de sécurité pour assurer sa protection après avoir reçu son prix. Un déferlement de haine et de menace de mort, non mais rendez-vous compte des menaces de MORT pour un livre! Une campagne de diffamation a été organisée pour noter au plus mal l’ouvrage sur les sites de ventes en ligne. Je vais donc user du langage le plus binaire possible afin que tout le monde comprenne bien le fond de ma pensée: allez bien vous faire cuir le uc!
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