1er décembre 2020, premier jour de neige, merveilleuse occasion de chantonner la fabulette Flocon Papillon
Anne Sylvestre était un monument de la chanson française. Pas assez écoutée à mon goût mais qu’importe, elle avait tout mon amour et celui de ceux qui l’on connue. Anne Sylvestre fait partie des artistes qui ont bercé mon enfance et qui ont construit l’adulte que je suis devenue. Parce que ses chansons étaient belles : profondes, d’une rare délicatesse, avec des mots plein de sens, des messages qui marquent et toutes empreintes d’une élégante subtilité.
Anne Sylvestre nous a quitté, ce 1er décembre 2020, premier jour de neige, et mon cœur est en coton.
C’est dans les années 50 qu’Anne Sylvestre commence à chanter dans les cabarets de Paris et c’est en 1959 qu’elle sort son premier album. Elle n’arrêtera jamais de chanter, sur scène, en studio, en solo ou en collaboration : sa vie est Musique.
Si le grand public la connaît surtout pour ses chansons enfantines les Fabulettes, les textes de son répertoire plus adulte sont des Fables. Des airs qui semblent sans prétention et qui, pourtant, vous content la vie. Toujours tendre, souvent espiègle, Anne Sylvestre chante les émotions, les injustices, les différences et les doutes qu’elle rencontre et qui la touchent. De par la poésie et la justesse de ses mots, elle nous prête sa voix et ses histoires deviennent les nôtres. A la sortie de son deuxième album, Georges Brassens dira d’elle « On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d’important ».
Il y a trois albums albums de la chanteuse qui m’ont profondément marquée. Trois vinyles que j’ai usés jusqu’à la corde et qui ont fini par grésiller, gratter et sauter de tant d’écoutes.
Fabulette – 1962
Douze Petits Cochons – Mon vélo est blanc – Bal des champignons – Le Petit Maçon – Oiseaux – Une dame de Dijon – Je pense à Noël – Sureau, sureau – J’ai une maison pleine de fenêtres – Chat c’est toi le chat -Si le renard tousse – Dans ma fusée – C’est un veau – La chanson de l’ortie – Flocon papillon
Des airs tendres comme Sureau Sureau à des ritournelles comme Dans ma fusée, on s’invente des mondes fabuleux, notre imagination s’emballe et plus besoin de dessin-animés pour voir apparaître milles images toutes plus folles et belles les unes que les autres ! On est pris d’empathie pour le renard qui tousse ou pour ce petit veau et c’est au Bal de champignons qu’on voudrait passer tous nos mercredis après-midis. Les Fabulettes d’Anne Sylvestre sont des poésies fantastiques, ludiques, toujours pleine de malice. Des univers indémodables comme ceux d’Henri Dès ou d’Aldebert.
Dans la vie en vrai – 1981
Xavier – Coïncidences – La peau de l’ours -la vaisselle – Carcasse – sur un fil – Rose – si je ne parle pas – Lâchez-moi
Anne Sylvestre a toujours refusé l’étiquette de chanteuse engagée, pourtant dans cet album on rencontre des histoires profondes et puissantes sur bon nombre de sujets bouleversants. Les coïncidences mettent en lumière la violence du quotidien des petites gens, la maladie et les dangers de la modernité avec une délicatesse rare. Avec le petit Xavier tout semble si envident : je me dis que les homophobes n’ont simplement pas écouté cette histoire et que s’ils le faisaient enfin, ils s’apaiseraient. Le destin de la petite Rose a fait couler des larmes silencieuses sur mes joues, on y parle d’éducation sexuelle, de jugement, d’ignorance et de détresse. Sur le fil est de toute beauté, des mots si purs pour conter nos doutes
Que dit le funambule en abordant son fil, ou qu’aimerait-il dire ou bien que pense-t-il? Il dit qu’il est fragile et que la terre est basse. Il pense que son fil faudrait pas qu’il se casse. Il a peut-être peur ou bien peut être pas. Peut-être bien qu’il aime quelque part en bas. Mais il n’y pense pas car c’est une autre histoire. Il n’a plus de visage, il n’a plus de mémoire. Mais il marche, pourtant, il marche lentement. Il ne veut pas penser qu’on le ferait tomber. Pour rien, pour voir, sans méchanceté. Ce n’est pas méchant de souffler, de s’amuser à balancer le fil de sa vie. Le fil de sa vie.
Absolument tous les titres de cet album sont des chef d’œuvres mais si je ne devais en garder qu’un, c’est Carcasse… Comme je l’ai chantée, recopiée, récitée et chantée encore… Une des plus belle déclaration d’amour à soi que je n’ai jamais entendue. Un hommage à notre corps, à cette cohabitation parfois difficile et au regard souvent dur qu’on lui porte.
Écrire pour ne pas mourir – 1985
Écrire pour ne pas mourir – Vous m’avez tant aimé – L’Honneur – Flou – Comme Higelin – Trop tard pour être une star – Faites moi plutôt la cour – Le Western – Rien qu’une fois faire des vagues – Les Blondes
Parler de colère à la manière d’Anne Sylvestre est un exercice difficile. Elle parvient avec de petits riens à traduire des sentiments profonds
Rien qu’une fois faire des vagues et que ça tangue Et qu’on parle la même langue Et qu’on chavire une fois pour de bon Et qu’on aille vraiment toucher le fond Qu’on puisse leur répondre enfin Ce n’était rien Mais laissez-moi faire des vagues Mais laissez-moi faire des vagues Et tout casser rien qu’une fois Rien qu’une fois
Un album tout entier fait de colères : ravageuses, minuscules,banales ou universelles, elles sont toutes importantes et vous rendent vivants. Flou est désespérant et pourtant, là encore, Anne Sylvestre en fait quelque chose de beau! Et dans son Faites moi plutôt la cour elle remet l’église au milieu du village d’un merveilleux; N’importe qui peut faire l’amour Comme une simple performance Mais l’élégance Mais l’espérance De se frôler dans un détour Mais la patience Ça n’a plus cours et que dire des Blondes dans lequel elle dénonce cette dictature du paraître et de la beauté normée d’une manière si amusante et pleine d’autodérision. Là encore, si je ne devais garder qu’un morceau de cet album, ce serait Ecrire pour ne pas mourir, un titre à l’intimité bouleversante, voir déchirante…
Quittons un instant le monde de la chanson pour plonger dans Coquelicots, livre où, Anne Sylvestre, tout en subtilité et profondeur, invoque les mots qui la touchent et l’émeuvent, dévoilant à travers eux la matière même de sa vie. Entre les souvenirs ressurgis et les petits bonheurs du quotidien, entre les coulisses de la scène et les champs de son enfance, ses textes nous plongent avec émotion dans son intimité.
« Coquelicot. C’est un cri, c’est un appel, c’est un mot de joues rouges et de course folle dans les blés, de mollets piqués par les chardons, de roulades et de cul par-dessus tête dans le fossé. C’est un mot claquant, insolent, cueille-moi si tu l’oses, je me fanerai aussitôt mais regarde : je suis légion. Je pousse et je repousse, et dans cette flaque rouge tu ne sais plus où poser les yeux. Coquelicots, cavalcade, concours de qui sera le plus rouge, tes joues ou moi ».
Anne Sylvestre était une magicienne des mots et, sans le vouloir, elle est devenue la porte paroles des femmes, de toutes les femmes: les belles, les loupées, les pauvres et les cultivées, les militantes et les effacées. Sans aucune distinction de classe, elle nous ouvre les bras pour nous emporter dans un voyage merveilleux: celui de la célébration de nos féminités! Anne Sylvestre pose des mots sur vos maux, elle illumine nos vies fragiles de feux merveilleux et ces détails qui nous semblaient si banals deviennent des armes, des forces, des richesse incalculables!
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