Anna Akhmatova
Je n’avais jamais entendu parler de cette poétesse avant de feuilleter les Sorcières de la littérature et je me demandes bien comment j’ai pu passer à côté d’elle ! Femme de Lettres incontournable, ses poèmes sont aussi prenants que sa vie l’a été! Les thèmes récurrents de son œuvre sont le temps qui passe, les souvenirs, le destin de la femme créatrice, les difficultés pour vivre et pour écrire dans l’ombre du stalinisme. A découvrir, à lire, à embrasser!
« J’ai tout eu : la pauvreté, les voies vers les prisons, la peur, les poèmes seulement retenus par cœur, et les poèmes brûlés. Et l’humiliation, et la peine. Et vous ne savez rien à ce sujet et ne pourriez pas le comprendre si je vous le racontais… »
Portrait de couverture par Kouzma Petrov-Vodkine
Requiem
En ce temps-là, avaient le sourire facile
Les morts seuls, de leur tranquillité jouissant.
Et Leningrad pendait comme un appendice inutile,
A ses prisons s’accrochant.
En ce temps-là, rendus fous d’être torturés,
Défilaient des régiments de condamnés,
De leurs sifflets, les locomotives avaient chanté,
Brièvement une séparation annoncé.
De funèbres étoiles au-dessus de nos têtes,
Se tordait la Russie, de tout péché pure,
Sous les bottes, de sang couvertes…
Nuit
La lune est au ciel, à peine vivante,
Parmi des nuages petits qui s’enfuient,
Au palais une sentinelle farouche
Regarde, irritée, l’horloge de la tour.
La femme infidèle rentre chez elle,
Son visage est pensif et sévère,
Mais dans l’étroite étreinte du rêve,
La femme fidèle brûle d’un feu violent.
Que m’importe ? Il y a sept jours,
En soupirant, j’ai dit adieu au monde.
Mais on respire mal, et je me suis glissée dans le jardin
Pour voir les étoiles et toucher la lyre.
A la mort
Tôt ou tard tu viendras – pourquoi pas maintenant ?
Je suis en grand malheur et je t’appelle.
ma lumière est éteinte, mon portrait est béant –
Pour toi si simple et si belle.
Tu peux prendre la forme qui te convient :
flèche empoisonnée, trouant le vide,
bandit, assomme-moi sur le chemin.
Emporte-moi fièvre typhoïde.
Ou bien encore – ta belle invention,
pour tous, à en vomir, banale ;
Qu’un képi bleu entre dans ma maison,
guidé par le concierge pâle.
Tout m’est égal. Ienisseï bouillonnant,
L’étoile polaire brille sur moi.
Et l’éclat bleu des yeux que j’aime tant
se voile d’un ultime effroi.
Anna Akhmatova naît dans l’Empire russe de fin 1880 et s’essaye à la poésie dès l’enfance. Issue d’un milieu aisé, elle a accès aux poèmes de Baratynski ou de Pouchkine, qui inspireront sa plume. Elle suit des cours de philosophie et des études de Droit. Elle épouse le poète Nikolai Goumilev et voyage longuement à travers l’Europe. Née Anna Andreïevna Gorenko, elle prend le nom de plume Akhmatova à la demande de son père qui craint pour la réputation de la famille.
C’est avec son époux, et d’autres poètes, qu’ils fondent le mouvement acméisme, début 1900, pour rompre avec la traditionnelle poésie symbolique. Ils revendiquent l’utilisation d’un langage simple et concret, pour porter à son apogée la dimension poétique du quotidien. Les acméistes subissent de plein fouet la Révolution Russe. Goumilev est exécuté pour agitation monarchiste, d’autres poètes s’exilent, sont censurés ou envoyés dans des camps. C’est de ce mouvement que naît les surnoms d’Anna Akhmatova : La Reine de la Neva ou encore le très simple L’Âme de l’Age d’Argent. Si la poétesse n’est pas publiée, elle ne cessera jamais d’écrire. C’est en 1922 que les nouvelles autorités russes la condamnent pour ses travaux « socialement trop peu pertinents » et interdisent sa poésie à trente ans de silence. Anna Akhmatova survit de traductions ou de la rédactions de quelques essais, mais ses œuvres ne cesseront jamais de circuler, en secret, dans la population russe. Si son premier mari est exécuté, son nouveau compagnon, lui, est envoyé dans les camps staliniens et son fils déportés. Anna Akhmatova a toujours refusé d’émigrer, considérant cet acte comme une trahison envers sa langue et sa culture.
C’est en 1940, avec la Grande guerre patriotique, que ses écrits sont à nouveaux publiés et qu’Anna devient membre de l’Union des écrivains soviétiques. Son poème Courage est même publié dans la très officielle Pravda. Mais la fin du conflit condamne à nouveau la poétesse au silence. Elle est radiée de l’Union pour « érotisme, mysticisme et indifférence politique » . En 1946, elle hérite d’un nouveau surnom « une nonne et une putain qui marie l’indécence à la prière » de la part de Jdanov, grand ami de Staline.
Les seules poèmes qui seront publié alors sont des écrits à la gloire de Staline. Poèmes qu’elle rédigent pour libérer son fils, condamné aux travaux forcés en Sibérie.
Si ses écrits n’ont cessé d’être diffusés clandestinement, il faut attendre la mort de Staline pour que l’autrice soit réhabilitée. Elle écrit encore et encore et compose alors Poèmes sans héros et Requiem, des œuvres en hommage aux victimes de la terreur stalinienne. Requiem sera censuré. Si Staline, dont elle dira « il est le plus grand bourreau que l’histoire ait jamais connu. Gengis Khan, Hitler sont des enfants de chœur à côté de lui » est mort, l’URSS n’est pas un symbole de liberté ou de démocratie.
Anna Akhomotva vit dans un datcha que fréquentent des poètes russes émergeant et est autorisée à sortir du pays en 1964 pour recevoir le prix de poésie de Taormine. Elle deviendra docteur honoris causa de l’université d’Oxford mais ne verra jamais de son vivant la publication complète de ses œuvres.
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