A la recherche d’un nouvel auteur, d’une nouvelle plume dont je n’avais pas connaissance, je choisis Eric Vuillard.
Et qu’elle fut cette découverte : somptueuse.
Avec une dizaine de romans à son actif, j’avais entendu de très bonnes critiques pour son livre « Tristesse de la terre« . J’optai cependant pour l’une de ses dernières parutions dans la belle collection Un endroit où aller des éditions Actes Sud, un récit au titre évocateur : « 14 juillet« .
Quelques jours après ce jour de fête nationale française, parlons en.
Tout commence par la révolte dans une manufacture de papiers peints le 23 avril 1789. Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire avide et sans scrupule, méprisant autant que méprisable, décide de baisser les salaires. C’est sans compter la fureur grondante des ouvriers, assommés qu’ils sont par leur statut de petites mains, d’esclaves presque, travaillant dans la crasse pour de misérables bouchées de pain.
« On manifesta. Un jour, deux jours, en vain. Réveillon et Henriot devaient penser que ça leur passerait, qu’entre deux lampées de pinard, entre deux quignons de pain, ils l’avaleraient, la pilule, il le fallait bien ! et qu’ils retourneraient tous bientôt dans le matin s’agenouiller devant leurs machines et turbiner pour vivre ; car il faut bien vivre ! On ne peut passer sa vie place de Grève à gueuler. Mais la protestation ne cessa point. »
Et ensuite ? C’est la descente dans les rues, les cris de haine l’arme au poing, trois jours de révolte et de répression sanglante.
Voici ce qui serait le coup d’envoi de la Révolution française, et le compte à rebours de la fin de l’Ancien Régime.
Eric Vuillard bouillonne de rage à l’instar de ses compatriotes et ses phrases sonnent comme un glas étourdissant. Il nous fait ressentir toute la colère et la violence tapies, prêtes à exploser. Au travers des anonymes fondus dans la masse du peuple, il imagine mais pas totalement car les archives racontent aussi, il imagine leurs vies quelques heures avant ce moment historique de la prise de la Bastille. Il prend la parole de ceux qui sont morts, oubliés et remplacés par des nobles à particules.
« Tandis que la foule parisienne croûte pour dix sous, et crapote au cabaret du Grand-Faucheur, qu’on siffle et joue pour quelques ronds (…) tandis qu’une cliente torche ses marmots, à côté d’un ramas de mendiants (…) alors que le royaume frise la banqueroute, le déficit de la pension de la reine s’élève en fin d’année à presque cinq cent mille livres. »
Quelques pages plus tard, alors que Paris s’est soulevé et se soulève encore, nous vivons l’assaut de la Bastille par ce peuple français avide de liberté, de justice et d’honneur comme si on y était.
Comme un hommage à l’humanité et aux peuples libres, un hommage aussi aux anonymes qui ont fait la France, à tous ces hommes et ces femmes du monde qui chaque jour se battent pour la vie, ce récit résonne comme un appel.
Un appel à se rappeler, à l’heure où nos libertés sont menacées.
C’est ce désir d’exprimer le courage du peuple et d’oublier les « grands noms » qui ont rendu ce récit captivant.
La plume de l’auteur, unique et plein de caractère, est tout simplement splendide.
Il me tient à cœur de mentionner la date du 14 juillet 2016. A Nice, des dizaines d’anonymes ont été fauchés.
Ce 14 juillet là fut, d’une autre manière, au moins aussi sanglant et violent que la prise de la Bastille. Que ce soit au service du bien ou du mal, la fin ne peut pas toujours justifier les moyens.
Je ne comprendrai jamais pourquoi le sang doit toujours couler.
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