Trois femmes de Boston Teran n’est pas un livre d’art ou de photographies mais bien un roman policier. Ce roman possède la particularité de faire une place prépondérante à la photographie au grès de ses 565 pages. La photographie n’en n’est pas le sujet principal mais est un des rouages essentiels de l’intrigue. La photographie est également le catalyseur de l’épanouissement personnel de l’héroïne principale et le vecteur de son regard sur le monde.
Morceaux choisis :
« La photographie d’un père, d’une mère et de leur fils était posée sur le bureau de la petite pièce où Eve, assisse, patientait seule. Pas moyen de détacher les yeux de ce triangle de visages. L’impression d’affection familiale qui s’en dégageait faisait chaud au cœur. La véritable couleur de l’amour, telle qu’elle se l’imaginait. Elle se leva. Il n’existait aucune photo. Elle s’approcha avec fébrilité du bureau. Aucune d’elle avec ses deux parents. Elle prit la photo dans ses mains. Rien qui approchât de près ou de loin cet instant. Aucune. Impossible de dissimuler ce que cette photo lui faisait comprendre et ressentir. Une grande affliction : elle avait âprement, voracement aspiré à ce genre de moment, tout en sachant qu’elle n’y aurait jamais droit, que ça n’arriverait jamais. Une photo venait de lui prouver, de le lui confirmer. »
« Elle se remit à étudier les photos(…) Et alors même qu’elle s’enfonçait dans un dédale confus d’idées noires, il se produisit quelque chose en elle ; un « parallèle exquis », ainsi qu’elle devait le définir beaucoup plus tard. Cet instant où l’esprit se met à établir des liens créatifs entre des évènements distincts(…) Eve pouvait également sentir comme une tension dans ce cliché. Le gouffre séparant les visages souriants de ses camarades des traits tirés, effrayés des gens qui les environnaient n’était pas moins vaste que celui qui s’ouvre entre le monde des sourds et celui des entendants. Des pans entiers de l’existence s’ouvrirent à elle. Un photographe peut dons capter une béance de monde. »
« Elle ne se doutait guère sur le moment que ce qu’elle éprouvait intuitivement et capturait par l’objectif de son appareil – ce champ de bras dressés dans la fumée et adressant à la scène, derrière laquelle les vers de la chanson fulguraient en lettres noires sur l’arrière-plan chauffé à blanc de l’écran de projection, le signe de la paix- deviendrait un jour un moment-phare de la chronique de l’époque. »
« L’instant décisif, celui où tu appuies sur l’obturateur, ne diffère guère des autres instants décisifs de ton existence. Soit tu saisis le moment au vol, soit tu le laisses passer. »
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