Cela fait quelques années que Lewis Trondheim ne se manifestait plus qu’à travers des scénarii, certes de bonne facture (Omni-Visibilis et Spirou HS 6), mais des scénarii quand même. Son dessin minimaliste et efficace nous manquait donc et ce n’était pas le recueil sympathique de Bludzee, qui allait remplir notre soif de Lapinot. Heureusement pour nous, il nous revient enfin en ce début 2011 avec une vraie aventure, qu’il scénarise et dessine : Ralph Azham ! (et avec un titre pareil, la dégustation s’annonce grandiose).
Ralph est bleu. Il vit dans un village aux croyances bien établies et à l’hypocrisie dominante. Là, Ralph y fait figure de porte-malheur et de bouc-émissaire. Mais pourquoi donc ? Parce qu’il est bleu ? He non ! Simplement car il possède un pouvoir, celui de savoir, juste en regardant une femme, si elle est enceinte. Il s’attire donc les foudres du conseil des sages, car contrairement à eux, il est franc et n’hésite pas à annoncer l’heureuse nouvelle à la mère et à son mari, lui qui souvent ne s’en doutait pas, car il n’a pas touché sa femme depuis des mois. Il se retrouve donc souvent condamné à passer plusieurs semaines dans la fosse à cochons, attaché à un pieu. Mais lorsque la horde s’approche, les préoccupations des habitants se tournent vers leur sécurité et comment savoir faire profil bas devant ces brutes venues des contrées lointaines. Ralph, lui, n’hésitera pas à faire face, rien que pour le principe…
Magnifique histoire que celle de Ralph Azham. Car si ce bref résumé vous donne déjà l’eau à la bouche, sachez que ce n’est que la situation initiale. En à peine 46 planches, Trondheim réussit à poser le décor, à introduire l’élément déclencheur, à nous familiariser avec les personnages principaux et à mettre en place plusieurs évènements, twist et révélations, aussi savoureux que n’importe quelle fin de saison de n’importe quelle série TV américaine ! Et ne croyez pas que tout ça est indigeste. Le talent de narrateur de Trondheim fait passer l’ensemble avec aisance et brio : rythme soutenu, mais entièrement compréhensible et naturel ; découpage dense, mais lisible ; climax et retours au calme suffisant et non précipités. Le graphisme et la mise en scène sont également au service total du récit, créant une atmosphère inédite. On accepte ainsi sans mal la bizarrerie de cet univers, les agissements contradictoires des personnages et l’ambiance autarcique du village. Les couleurs signées par Brigitte Findakly, épouse de Trondheim et coloriste du retour à la terre, du Chat du rabbin et de Lapinot, sont l’atout majeur de la lecture, grâce à ces tons toute en nuances, passant du doux bleu au noir tranchant.
Mais le principal reste l’histoire. Véritable conte humaniste et misanthrope à la fois, Ralph Azham brosse un portrait original et sans fard de la vie en communauté, pour peu qu’on sache lire entre les lignes. En effet, la dimension divertissante et fantastique du récit n’est ici qu’un leurre qui ne sert qu’à tromper les lecteurs hésitant, car derrière cette façade se cache une analyse juste de certains comportements humains. Loin des stéréotypes habituels, chaque personnage possède plusieurs facettes qui se révèlent dans les situations les plus inattendues.
Ajoutez à ça l’humour toujours aussi grinçant de Trondheim et les péripéties incessantes qu’il inflige à ses héros et vous obtiendrez un des premiers OVNIs de ce début d’année !
Voir aussi la fiche produit de Ralph Azham sur fnac.ch
Et pour ceux qui aiment les choses qui bougent:
Laisser un commentaire