Oublions un instant les Guetta, Sinclar, Solveig et autres pollueurs FM. Deux bonnes raisons à ça: d’abord leur musique n’arrive pas à la cheville de l’intéressé du jour, ensuite les trois réunis ne seront jamais aussi beau gosse que lui. Yuksek, DJ originaire de Reims, partage une particularité avec le Champagne de sa région: il n’aime pas être comparé à moins bon que lui. Propulsé sur la scène électro-pop depuis son premier album (« Away from the sea » en 2009), il profite de son passage aux Docks pour présenter « Living on the edge of time », un deuxième essai taillé pour mettre le feu. Inutile de vouloir jouer les pompiers de service, les lances à incendie sont remplies de bulles. Interview mousseux.
Yuksek, tu es originaire de Reims, la ville du Champagne. Les bulles qui font tourner la tête, c’est ce qui donne le côté festif à ta musique?
Ouais, peut-être, même si je ne suis pas forcément un gros buveur de Champagne. Alors bon, tu me diras, quand t’as l’occasion d’en boire tous les jours c’est difficile de s’en priver, mais ce n’est pas un pêché mignon. En plus, tu sais, Reims n’est pas forcément une ville très festive.
Est-il vrai que dans ta région, on sert le Champagne comme on sert un café, à n’importe quel moment de la journée? Le matin avec des croissants?
Dans les familles de vigneron, oui, carrément (rires). J’ai partagé quelques années de ma vie avec une fille de vigneron et la bouteille faisait presque partie de la famille! En plus, pour nous champenois ce petit plaisir n’est pas cher, quand tu as la chance de connaître des gens du métier, tu as la bouteille à 10 euros. Finalement c’est le prix d’une grosse bouteille de bière.
Yuksek, tu fais partie de la scène électro-pop qui monte. Avec le succès des Daft Punk, Air, Phoenix ou des choses plus mainstream comme David Guetta, est-ce que tu ressens un accueil particulier de la part du public étranger? Une sorte de respect labellisé « DJ made in France »?
Je dirais que ça dépend des pays. Je ne pense pas que ce soit uniquement lié à la musique, mais plutôt au côté français, un peu chic, un peu littéraire. C’est à priori assez cool d’être français, que ce soit pour les australiens, les américains ou les asiatiques. Après je ne pense pas que Air ou Daft Punk soient plus populaires aux USA que Nirvana l’est en France mais il y a un truc lié à l’image culturelle de la France, c’est certain.
Ton projet Yuksek compte déjà deux albums, et on a lu dans la presse que le deuxième disque était plus pop. C’est pas étonnant car tu as déclaré écouter beaucoup de styles musicaux différents (Rock, Pop, Hip-Hop…). Tu souhaitais que ta musique ressemble à ce que tu écoutes?
Pas forcément, c’est quelque chose d’assez inconscient. La différence entre mes deux albums se situe surtout au niveau du mix, des sons, des rythmiques, où ça passe de l' »électro-dance » à des choses plus « indie-dance ». Le terme ne paraît pas forcément très clair mais c’est un mouvement qui prend une certaine ampleur avec des groupes comme The Rapture ou The Shoes. C’est donc plus dans la façon de produire le disque, loin des clichés clubbing que les médias collent trop facilement. Fondamentalement, mon deuxième disque n’est pas si différent du premier, c’est vraiment la production qui change tout. La scène est du coup un entre-deux car je rends les choses plus dance tout en gardant le coté chanson.
Le fait que tu fasses pas mal de scènes comme les Docks ou divers festivals, ça annihile justement l’image clubbing…
(il coupe) Oui oui, et pour le coup, je n’ai jamais kiffé ce genre d’étiquette complètement fausse imposée par les médias. Surtout que j’ai fait très peu de clubs dans ma vie. Je réserve ce genre d’endroits à mes projets plus DJ, car j’aime aussi faire ça de temps en temps, mais les live de Yuksek, comme tu dis, je les ai toujours fait dans des festivals ou des endroits comme les Docks. Je préfère clairement le live au deejaying en club. J’aime mieux jouer à 22h et faire des nuits normales (rires).
Si l’on se fie au visuel très explicite de ton album, c’est véritablement l’envol de Yuksek?
Ce sont des suisses qui l’ont fait d’ailleurs! La pochette évoque aussi la musique de ce disque, cela montre plus qu’avant que j’ai le cul entre deux chaises, chose ici clairement revendiquée. Pour « Living on the edege of time », je n’ai pas cherché à faire un disque fédérateur. Je pense obtenir dans l’absolu une audience large mais non commerciale. La volonté n’était pas de faire des hits mais un album sans compromis que plein de gens ont envie d’écouter. Je le trouve moins commercial que le premier qui était plus raccord avec la FM d’aujourd’hui. Finalement comme on le disait au début, ça ressemble assez à la trajectoire de Phoenix que j’adore et qui n’ont plus eu de single radiophonique depuis au moins dix ans, tout en restant le groupe français le plus respecté à l’étranger, sans compter leur Grammy Award et les concerts au Madison Square Garden… Réussir à avoir une audience large sans être commercial, c’est le top.
Le triomphe que tu as connu avec les singles de ton premier album, utilisés dans les publicités ou les génériques télé, a du créer un engouement à la fois stressant mais motivant. C’est finalement ça la raison d’être de l’artiste?
Oui mais en même temps ça ne m’influence pas sur ma musique. J’ai juste envie de prendre du plaisir sans considération particulière. Ce n’est pas une fin en soi car j’ai connu des projets qui n’ont pas du tout marché. D’un coup ça explose, ça peut retomber, aller plus haut… « Living on the edge of time » fait parler, il y a du pour, il y a du contre, c’est ça qui est intéressant au final. Vivre avec cette fluctuation, ce n’est pas forcément évident…
C’est comme le bon Champagne, quand tu y a goûté, tu ne peux plus boire de mousseux…
(rires) Un peu ouais! Lors de la sortie de l’album, j’ai eu pleins de feed-back positifs de la presse, que ce soit dans Libé ou Magik, c’était assez marrant. J’ai ensuite entrepris une réelle coupure pendant l’été afin de mieux appréhender les premières dates de la tournée. Chaque soir j’ai un peu la surprise de voir si le public sera oui ou non au rendez-vous. Actuellement mes ventes de disques sont très honnêtes, en trois mois de vie dont deux mois d’été où les gens ont d’autre chose à foutre que d’acheter des albums, on s’en sort très bien. Je pense sincèrement qu’il y a un désir d’ouverture du public qui donne de l’espoir aux artistes. Le succès peut faire vriller le cerveau mais le résultat ne trompe pas, c’est une bonne surprise.
Tu n’habites pas Paris, tu a toujours été fidèle à ta ville natale de Reims, exemple parfait de la province qui bouge (on pense à d’autres villes comme Rennes, Bordeaux ou Clermont-Ferrand). Le fait de ne pas trop côtoyer le monde du show-business, ça permet d’avoir un recul salvateur?
Oui clairement. Bon, il est vrai que j’ai un tempérament de stressé de nature. Je ne préfère pas trop savoir ce que les gens de l’électro font, ce qui se passe sur la scène dans laquelle je suis plus ou moins. J’essaye de m’en couper pour ne pas être influencé. Je garde un gros recul sur ce monde-là. En plus j’aime aborder Paris comme un touriste, ne pas être envahit par la vie stressante du parisien intra-muros. Et puis Reims n’est qu’à 40 minutes de la capitale. Tu sais, si un jour je devais vivre dans une mégalopole, ce ne serait pas Paris. Après, il se passe plein de choses intéressantes à Reims, que ce soit avec les Bewitched Hands que je côtoie pas mal ou bien The Shoes, des groupes qui font des concerts à New-York et que je vois au café du coin le lundi matin et qui amènent leur gamin à l’école (rires).
De tous les artistes avec qui tu as collaboré ou ceux que tu as remixé, lequel t’as le plus impressionné, le plus apporté?
Dans l’entourage proche, le plus influent est Guillaume du groupe The Shoes. Quand il était à Bordeaux, il faisait pas mal de rock et on s’est rapproché grâce à l’électro. On s’est influencé mutuellement, lui par mon penchant underground, moi par son côté pop. On a avancé ensemble dans un ping-pong musical extrêmement sain et on se donne des coups de main sur les mixages, les arrangements de nos disques respectifs. Après dans les artistes internationaux, j’adore Phoenix, des mecs adorables avec qui j’ai tourné un peu partout en France et à l’étranger. Je suis allé les voir au Madison en tant que fan absolu, face à la scène, j’ai pris un pied incroyable!
Propos recueillis par Gyslain Lancement
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