Tiersen sait d’où il vient. En cela, il a crée une musique qui lui ressemble, qui transmet une vision musicale de son monde, sa Bretagne, son climat résistant, à la fois grisant, forgeant et repoussant, pour les moins irréductibles, bien sûr. Révélé à la surface du globe grâce à la bande-son du Fabuleux destin Amélie Poulain, Tiersen va connaître lui aussi une merveilleuse destinée, sans l’aide d’Audrey Tautout ni de Jeunet, le tout en sillonnant une trajectoire musicale plutôt profonde, donc alléchante. Car au contraire d’Aaron ou Yodelice (pour ne citer qu’eux) qui arrivent comme la confiture sur la tartine déjà bien beurrée, épaisse et grasse de leurs majors respectives, Tiersen s’est fait un nom en trimant dans plusieurs projets, allant des bandes originales aux collaborations diverses (l’an passé avec Miossec par exemple, mais également avec The Divine Comedy ou Noir Désir)). Ainsi, après avoir fait danser et chavirer Montmartre, il visitait le froid de l’ex RDA dans un film touchant et un tantinet ouvreur d’esprit, l’excellent « Goodbye Lenin ». En 2008, c’est en signant légitimement la bande originale du documentaire « Tabarly », pour le disparu d’amour marin au détour d’une vague, que Tiersen va asseoir son expansion, lui qui, désormais est un gage de qualité dans l’orchestration filmographique.
« Dust Lane » est son sixième disque solo, 5 ans après « Les retrouvailles », neuf ans après « L’absente », le point de départ du « Son » Tiersen. Alors bon, on va déjà lui pardonner son duo live avec Diam’s (« Ma france à moi ») d’il y a quatre ans, bien avant que la carrière de celle-ci ne prenne une voilure restrictive, avant d’attaquer ce nouveau disque d’apparence court avec ses huit compositions. Accompagné de deux artistes en devenir, la révélation locale Gaelle Kerrien et le diablement inspiré Syd Matters, Yann Tiersen fait figure de papa, lui à la baguette, mais certainement toujours un peu surpris que la relève apprenne aussi vite. Normal, quand on côtoie le maître…
Au titre par titre, sans faire l’erreur de ne pas écouter l’intégralité des chansons, l’album regorge d’émotions fortes. « Dust lane » (qui donne le titre à l’album) susurre le bruit des vagues, précédées par une mélodie en plongée et contre plongée jusqu’à un émerveillement sensoriel qui vous assèche la bouche comme une crêpe bretonne. « Dark stuff » ne coupe pas à la tradition piano-accordéonienne de l’auteur et s’enduit ici de projections bruitistes façon boîte à musique sombre et lancinante, le souffle du Nordoît (vent breton) en toile de fond. L’album démarre au diesel, lentement mais sûrement, « Palestine » le fait monter en intensité, malheur à celui qui s’endort au volant, la seule chose capable de vous aveugler sont les larmes qui vous plomberont les paupières inférieures au fur et à mesure que le disque gagne en effervescence, limite tangible sur « Chapter 19 » (et son final au clavecin). « Ashes », aux deux dernières minutes tabassantes, vous nettoie de toutes parts, et Tiersen n’y joue pas avec les envolées lyriques, envoyant en enfer les Céline Dion et Chimène Badi, qui, bien loin de ce monde, s’époumonent en général sans émotion; lui se contentant d’aller chercher à ramolir le noyau dur de chacun, à force de lames submersibles et de bourrasques mélancoliques. Le caractère conceptuel et à enchevêtrement logique que l’artiste donne à « Dust Lane » laisse deviner une puissance scénique certaine à la condition d’être intimiste, voir même un côté bande originale d’un film qui s’intitulerai: « un automne de résistance aux vents bretons ». Que dire de « ’till the end », si ce n’est que l’on s’incline plus que de raison devant tant de caractère. Pour terminer, « Fuck me », en duo avec Gaelle Kerrien nous laisse entrevoir la lumière comme jamais, éclairant deux générations d’artistes aux racines similaires. Tiersen a gagné, nous a cuisiné, on part le retrouver sur sa route poussiéreuse, à la lumière d’un phare breton. A écouter au casque ou sur une belle installation face à l’immensité océanique pour en apprécier sa juste valeur.
Extraits à écouter ici: Yann Tiersen, « Dust lane » – Yann Tiersen, « Dark stuff » – Yann Tiersen, « Chapter 19 »
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