Chaque lundi, aux alentours de 16h30, votre humble serviteur Florian De La Fnac chronique un manga de son goût: une découverte, un classique ou une curiosité.
Cette semaine : Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi, chez Cornélius.
Auteur classique au pays du soleil levant, Yoshihiro Tatsumi est pour nous un quasi-inconnu. Pourtant, on lui doit la création d’un genre qui depuis dix ans n’a de cesse de remplir nos étagères : le gegika. Littéralement « dessin dramatiques », ce genre s’oppose par essence à celui du manga, qui signifie « dessin dérisoire ». Il fut crée en 1957 par l’intéressé pour sortir du carcan que la production du manga imposait aux mangaka durant cette période: des histoires courtes, le plus souvent drôles et dessiner simplement. Soutenu par plusieurs confrères, Tatsumi voulait intégrer aux bandes dessinées japonaise une intensité dramatique, qui correspondrait à des préoccupations plus adultes. Cette scission provoqua des velléités entre plusieurs auteurs, dans un sens comme dans l’autre. Certains, tel Hiroshi Hirata, refusent d’ailleurs encore aujourd’hui de se faire appeler mangaka, et préfèrent gegikaka.
En Francophonie, nous connaissons déjà Kazuo Koike (Lone Wolf & Cub), Kazuo Kamimura (Le fleuve Shinano), Hiroshi Hirata (Satsuma), Jiro Taniguchi (Quartier Lointain) ou plus récemment Inio Asano (Le quartier de la lumière). Mais étrangement, Tatsumi n’eu droit qu’à trois albums édités chez Vertige Graphic (Coups d’éclat, Les larmes de la bête et Good-bye), qui finirent étrangement et rapidement dans les invendus. Puis, il y a trois ans, Cornélius éditait L’enfer, un récit existentiel et noir, qui ne connu lui non plus que peu de succès. Mais grâce au très bon accueil de Gegika Hyôryû au Japon (Grand Prix culturel Tezuka) et aux Etats-Unis (Eisner Award de la meilleure œuvre asiatique), il connaît aujourd’hui un succès mérité auprès des lecteurs francophones, grâce à sa traduction titrée Une vie dans les marges.
Récit passionnant, Une vie dans les marges retrace la vie de son auteur, de ses premiers émois de lecteur de manga (avec Lost World de Tezuka) à nos jours. On assiste ainsi à une sorte d’épopée intimiste, historique et industrielle et c’est sur cet aspect tridimensionnel que cette œuvre se distingue des autres. L’intrigue intimiste est bien sûr celle qui occupe le plus de pages. Du frère jaloux et malade, aux rencontres avec son idole Osamu Tezuka, en passant par les premières rémunérations et les romances de lycée, Tatsumi se raconte avec une pudeur et un recul qui forcent le respect. Puis, chaque chapitre est ponctué par des cases informatives d’évènements historiques, sociaux, économiques et culturels qui ont directement marqués le Japon et indirectement marqués la vie de Tatsumi. Enfin, la description et la découverte de l’industrie de manga est tout simplement passionnant, que ce soit pour le néophyte, autant que pour le connaisseur. On y apprend le fonctionnement des maisons d’éditions, des prépublications, des attentes des lecteurs, des genres prépondérants et vendeurs, etc. le tout sans tomber dans une succession d’explications rébarbatives, mais vu depuis les yeux neufs d’un jeune mangaka à l’enthousiasme contagieux.
S’ajoute à ce contenu, la maîtrise de 57 ans de métier. Narration épurée et fluidité maîtrisé : rien n’est laissé au hasard et ces 1000 pages se dévorent comme un roman de gare, la qualité en plus. On sent ainsi la sagesse de Tatsumi qui a vécu toutes les transformations du manga et de son pays et qui nous en parle avec une simplicité et une passion déconcertantes, tout en y mettant les émotions adéquates.
Tout récemment récompensé par le prix Regards sur le monde du festival d’Angoulême 2012, je ne peux que vous recommander cette lecture !
Laisser un commentaire