L’exercice est périlleux, et il finit souvent aux oubliettes. S’attaquer au répertoire indélébile du grand Bashung a tout du casse gueule musical. Rendre plus belles des versions originales serait mentir, limite blasphémer. Décédé depuis déjà deux ans, Bashung n’a pas vraiment disparu. « Physiquement mort mais à l’influence artistique éternelle », voilà à peu près où on en est à propos de l’ex-avant gardiste devenu ambassadeur du Rock français. Sûrement observateur depuis un paradis qu’il a rallié trop tôt, comme beaucoup d’autres, le dandy désinvolte aux textes alambiqués va jouer les dignitaires d’hommage. On retrouve dans ce « Tels Bashung » ceux et celles ayant côtoyé le génie ou alors les néophytes qui s’en sont inspirés, bref, que des artistes talentueux, roublards confirmés, jeunesse assoiffée et gente féminine ensorcelée. Sûrement pour ça que les Christophe Maé ou Grégoire ne figurent heureusement pas à l’appel. Recalés les mecs, revoyez vos classiques. Et vu qu’à priori, aucune sortie inédite n’est réellement prévue sur les fonds de tirroir du grand Alain, on se contentera d’un coup de jeune en hommage sincère.
Et c’est Noir Désir qui s’y colle d’entrée, avec un Bertrand Cantat à vif mais plus trop écorché – celui aperçu sur « Des visages, des figures » donc – pour le dernier enregistrement (officiel?) de la bande au complet, un « Aucun express » maîtrisé, comme ultime preuve testamentaire aux malheureux fans dépités qui douteraient encore sur la pérennité de l’âme d’un grand groupe. Stéphane Eicher, le sorcier camarguais d’adoption, affirme sa bonification artistique à travers un contage appliqué de « Volutes », pendant qu’un Christophe haut perché tente de toucher de la voix les cieux sur un « Alcaline » modernisé et gracieux. Mention spéciale également à Miossec, délesté de sa pinte le temps d’un « Osez Joséphine » qui valide le penchant indémodable d’un hymne galopant comme un cheval sauvage: sublime. Raphaël, gêné, complexé sans être maniéré (et du coup touchant), mais définitivement meilleur quand il chante les chansons des autres, vous pique au coeur sur « l’Apiculteur », tandis que Mathieu Chédid laisse (un peu) tomber ses plumeaux sur « Madame rêve » et sauve les meubles comme à chaque fois par son style et sa guitare. Outre la touche féminine moins distinguée mais interprétée avec respect et conviction par Keren Ann (« Je fume pour oublier que tu bois ») et Vanessa Paradis (« Angora »), Gaëtan Roussel accroit son capital sympathie et son omniprésence, fraîchement auréolé de trois victoires de la musique (discutables), il met à la sauce électronique un « J’passe pour une caravane » à l’origine country et difficile à appréhender. Les BB Brunes redonnent une jeunesse « Gibusienne » à « Gaby oh Gaby » et Benjamin Biolay, maître des arrangements, monstre à trois têtes qui n’en finit plus d’étonner, s’impose en Cerbère de la musique, avec, en plus de son faciès d’héritier surdoué, une face Gainsbourg crade et classe doublée d’une face Bashung poético-satirique et pugnace. Bravo.
Que demander de mieux? En plus de prestations honorables, comme ébahis devant l’immensité émotionnelle, on aurait volontiers imaginé un « Fantaisie militaire » beuglé par un Arno frisant la caricature ou bien un « Résidents de la République » marmonné par un Murat badin et nonchalant. Si l’horizon paraît toujours loin des yeux, l’héritage de Bashung, lui, s’étend à perte de vue.
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