On connaît tous Raphaël. Mais pas pour les mêmes raisons. D’abord, il y a la (pré)-ménagère qui, happée par la « Caravane » (et ses deux millions d’exemplaires vendus) s’est appropriée l’artiste, excitée et presque hystérique, ne sachant plus qui choisir entre lui et Bénabar comme figure de proue de la nouvelle chanson populaire. Et puis il y a les autres, les dits puristes, qui suivent le chanteur depuis le début des années 2000, ses années rock, révoltes et désinvoltes (cf les premiers albums « Hotel de l’univers » et « La réalité »), et qui ont frôlé l’indigestion passive. Premiers symptômes? Dégoût d’un artiste matraqué trois fois par heure sur chaque radio. Dans le pire des cas, on s’encastrait d’énervement dans le premier platane venu; dans le meilleur, on courait dans la première grande surface acheter ce « nouveau » chanteur, à mi-chemin entre le jeune homme apeuré et le gendre idéal. Ce succès démesuré, Raphael va le prendre en pleine figure et va avoir du mal à le digérer. La preuve par disque, il publiera « Je sais que la terre est plate » (en 2008), disque raté, bâclé, joujou d’un enfant gâté. Et puis, à coup de Cali, Zaz et Chritophe Maé, les médias et autres festivals vont l’oublier, le snober, préférant rester à l’abri dans la caravane plutôt qu’au guidon de la vie, face au vent. La meilleur scénario possible?
Entre temps, on aura eu la triste fin du grand Alain Bashung, que Raphael va mieux assimiler que la gloire, puisqu’elle va réveiller en lui un côté noir, torturé, angoissant. Nouveau départ. Raphael a replongé dans le terre à terre confidentiel, s’est déconnecté du monde, survivant à l’ambivalence du mec qui a à la fois peur et envie d’être oublié. Il publiera « Pacific 231 » fin 2010, album déroutant, détaché. Lancé sur la route à défendre son disque, parti à l’envers pour retomber à l’endroit, Raphael sera suivi par le cinéaste Jacques Audiard (à qui l’on doit le très réussi « Un Prophète ») et capté en live à la Coopérative de Mai dans la capitale du Rock: Clermont-Ferrand. Âmes sensibles et populaires, soyez vigilants, ceci n’est pas un concert traditionnel. Filmé dans la confidence, il montre un artiste en renaissance, marginalisé de cette étiquette désormais obsolète de chanteur de variété. Voyant la scène comme un rendez-vous amoureux, un truc qui fait flipper autant qu’il excite, Raphael n’a jamais paru aussi à l’aise avec ses angoisses. Galvanisé par quelque chose d’assez noir, d’assez mélancolique, il a rencard avec l’héritage Bashung (« Terminal 2B », « Ce doit être l’amour », « Prochaine station », « Locomotive »). Cette fois-là, David ne battra pas Goliath, l’histoire a changé, et l’hommage, qui crève les yeux sans les piquer au vif, se fait concluant (« Osez Joséphine »). Appréhendé de fort bel manière par le regard artistique d’Audiard, Raphael (re)devient lui-même, au détriment de la popularité certainement, mais au service du Rock.
Extrait live: Raphael live vu par Jacques Audiard, « Terminal 2B »
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