Dans sa jeunesse, rangée entre des lectures assidues de la Bible et une éducation fantaisiste de parents hippies, P.J. Harvey a eu tous les ingrédients pour se forger un monde imaginaire. Maîtrisant très tôt la six cordes et le saxophone, elle fut repérée et « embauchée » par John Parish, musicien de Bristol déjà bien ancré dans l’expérimental parlant et devenu depuis son mentor et celui qui accompagne toutes (ou presque) ses livraisons discographiques. Epanouie et d’emblée cataloguée dans un style cru et indé, l’artiste va publier une dizaine d’albums balançant entre punk-blues dénudé, rock hardcore à la limite de la démence ou avant-gardisme blessé et ambitieux, révélant ses qualités scéniques théâtrales et grinçantes. Devenue sans conteste l’une des créatrices les plus douées de sa génération, la native d’un comté bouseux du sud de l’Angleterre a inventé un blues criard et minimaliste, conciliant crudité et imagination, usant de distorsions et de sonorités dissonantes désormais identitaires et très propres à elle.
Escortée par le fidèle John Parish et son ami des « Bad Seeds » Mick Harvey, Polly Jean va adoucir son propos mélodique (mais pas textuel) tout au long de « Let England shake ». Enregistré cinq semaines durant entre les murs chargés d’une église du XIXème, l’album ne respire pas vraiment la musique sacrée mais laisse place aux compositions à l’autoharpe, reversant la voix haut perchée de P.J. dans un registre planant et contemplatif. Avec peu d’accords cradoques et point de confessions tranchantes piano-voix, en paix avec elle-même, P.J. chante le malheur qui nous entoure (guerres, conflits sanglants…) et qui fait des hommes des individus assez bêtes pour s’entretuer. Trois chansons justifient à elles seules l’achat de cet album inhabituel et extraverti, c’est rare, et très souvent la marque des grands disques. Ainsi, « The glorious land » claironne une ambiance froide, cynique et mélancolique, « On battleship hill », complainte harmonique à deux voix, monte en intensité comme le regard de deux cow-boys lors d’un duel, et « In the dark places » témoigne d’une artiste qui chante comme elle respire, limite à bout de souffle et de voix devant tant d’immondice humaine.
A défaut de surprendre totalement, Polly Jean nourrit toujours ses penchants atypiques et expérimentaux, et, dotée d’un talent mystique, continue de pondre des albums au gré de ses humeurs, en marge du reste de la musique. Ce « Let England shake » milite carrément pour la paix des méninges. Alors que l’on veut faire passer Anna Calvi pour une potentielle sauveuse du Rock, (utopie quand tu nous tiens), ne pas oublier qu’il y a eu P.J. Harvey avant elle…
Extraits à écouter ici: The Glorious Land – On Battleship Hill – In The Dark Places
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