Orelsan est un curieux personnage. Un rappeur qui se compare à Ulysse plutôt qu’à Tony Montana, forcément, ça interpelle. Il y a deux ans, Orelsan a réussi un coup de maitre: se faire détester par les biens-pensants, juste à la force d’un titre cours mais acide: « sale pute ». Les chiennes de garde se sont étranglées avec leurs colliers, les réunions parents-profs ont mis un nom sur la cancritude ambiante pendant que les flics du showbiz promettaient un contrat béton au provincial provocateur. Wanted. Le natif d’Alençon appartient à la catégorie des « punchlineurs » – traduire faiseurs de phrases courtes aux rimes cinglantes. Pour les plus belles, on retiendra sans doute: maintenant les meufs portent du Vuitton, des grosses lunettes dorées, avant c’était qu’pour les vieilles putes blondes décolorées ou »Tu devrais monter sur scène avec un néon rose, c’est la seule chose qui manque à ton label pour être une maison close » . Mais, plus poussé qu’un rappeur ordinaire, Orelsan se mue en véritable narrateur dépositaire. Le rap 2.0?
Ce « Chant des sirènes », deuxième album studio, est né dans la nostalgie des années 90 de ce rappeur de 29 ans (« 1990 »). Guidé par des beats Mario Bros (« Double vie », « Plus rien ne m’étonne »), Orelsan déroule un flow chancelant et désinvolte, des versets repoussoirs sur un versant repoussant (« Finir mal ») et crache tout haut ce que tout le monde pense tout bas (« Suicide social »). On comprend le malaise. Sous ses faux airs d’autiste léger et maladroit, Orelsan prend la jeunesse à bras le corps, atypique et intouchable tel un Daniel Johnston du rap ou un The Streets à la française, sans que plus rien ne l’étonne. Avec sa dose d’humour noir (« Mauvaise idée »), ses allusions autobiographiques et ses envies de ressusciter Clo-clo (« Raelsan »), le normand martèle du début à la fin: je continue de faire du chemin pour devenir moi-même, dans l’amour, la haine, dans la moyenne, j’resterai pas bloqué dans une parodie de succès, sans oublier de remercier ceux qui l’ont soutenu. Le milieu du rap avait besoin de ça pour se réinventer, retrouver un second souffle ou tout simplement se faire aimer. Orelsan ratisse large sans oublier d’où il vient et nous incite remarquablement à lire entre les lignes. Enfermé dans un mauvais trip post-ado, l’Ulysse du Calvados a tout vu (et tout compris) en passant l’œil à travers la serrure. Après tout que risque Orelsan en clamant haut et fort son pedigree provincial? Qu’on le compare à Kamini? En vérité, ça va plus loin que ça: le bon rap ne vient pas forcément de banlieue.
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